Sur la foi des méchants insensé qui s’appuie !
A qui veut éluder un serment qui l’ennuie
Prétextes et raisons viennent toujours à point.
Si je voulais à fond vous démontrer ce point.
J’aurais pour l’appuyer toute l’histoire ancienne,
Et toute la sacrée et toute la romaine ;
Même…. Mais qu’alliez-vous nous dire à ce propos?…
Taisez-vous, mon esprit ; voulez-vous sans rien craindre
Dire des vérités? Mettez-les sur le dos
De quelque pauvre loup qui ne puisse s’en plaindre ;
Vous le savez: les animaux.
Heureusement pour vous, n’ont point de tri
Un loup donc, vieux pillard, vieux gibier de potence,
Tomba dans un piège et s’y pril.
Le chasseur lui cria d’aussi loin qu’il le vit :
Eh bien ! c’est aujourd’hui qu’on subit la sentence !
— Hélas ! reprit le loup, triste profession !
On me l’avait bien dit, tôt ou tard on s’y blesse ;
Et voilà ce qu’on gagne à différer sans cesse
Le jour de sa conversion.
Oh ! si le ciel, si vous, chargé de sa justice,
Une dernière fois différiez mon supplice !
— Quoi donc? qae ferais-tu ? — Dieux ! ce que je ferais !
Puis-je hésiter encore après tant d’aventures ?
Chiens, poulets et moutons, paisibles créatures
Qui valez mieux que moi, je ne vous toucherais
Que pour vous protéger dans toutes vos injures!
Pâturages fleuris, gazons tendres et frais,
Vous seriez à jamais mon unique pâture !
Tout au plus oserais-je, en buvant au ruisseau,
Avaler, par hasard, quelque habitant de l’eau.
— Franchement ? — Je le dis, le promets et le jure
Par mon nom, par les dieux, par toute la nature.
— Ma foi, je suis touché de tes bons sentiments ;
Va, pauvre vieux pécheur, va faire pénitence,
Mais souviens-toi de ton serment :
Tu l’auras sur la conscience.
Après avoir promis tout ce que l’on voulut
Et plus encor, maître assassin s’en fut,
Remerciant tout bas le dieu de l’éloquence.
Mais il n’avait pas fait cent pas, qu’il aperçut
Le cochon du chasseur, qui, selon son usage,
Se vautrait dans un marécage :
Oh ! oh ! s’écria-t-il, il nage ; pour le coup
Vrais dieux ! c’est un poisson, ou je ne suis pas loup !
Il prouva qu’il l’était sans parler davantage.
“Le serment du Loup”
- Jacques-Melchior Villefranche – 1829 – 1904