En l’absence du roi lion,
Le peuple quadrupède, en proie à l’anarchie.
Sur tous les daims et chevreuils de l’Asie
Exerçait sa proscription.
Un serpent fort disert épuisait sa faconde
A prouver que tous ces proscrits,
Et même les lions, étaient de vrais bandits;
Qu’il fallait en purger le monde.
Ses méfaits répondaient à son inimitié :
Chevreuils et lionceaux trouvés sur son passage
Étaient dévorés sans pitié.
Un autre temps survint : la Fortune est volage.
Le roi lion fut rétabli.
Les proscrits à la cour reprirent l’avantage,
Et notre serpent converti
Changea de rôle et de langage.
Il faut vivre pourtant :les serpents sont gloutons.
Celui-ci retomba sur les pauvres moutons,
Sur les lapins et sur les lièvres.
« Je te croyais changé, lui dit un écureuil.
— Sans doute, répond-il en se léchant les lèvres :
Vois, je ne mange plus de daim ni de chevreuil ;
Ce sont gens comme il faut, vrais amis de nos maîtres;
Mais les moutons sont des séditieux ;
Les lapins sont des factieux,
Et tous les lièvres sont des traîtres. »
Notre siècle est rempli de ces faux pénitents,
Et de maint prescripteur ma fable est la peinture.
Je les vois aujourd’hui tels que dans d’autres temps ;
Ils ont changé de peau, mais non pas de nature :
Ils sont toujours restés serpents.
“Le Serpent converti”
- Jean-Pons-Guillaume Viennet 1777 – 1868