Maître Bertrand, singe de haut parage.
Avait choisi son établissement
Chez un menuisier de village :
Le mérite se plaît à vivre obscurément.
Bertrand faisait les plaisirs de son maître,
Non pas les plaisirs seulement,
Le gain aussi. Chacun voulait connaître,
Admirer, caresser Bertrand,
Et le patron gagnait d’autant.
Un jour qu’il était en frairie
Et Bertrand seul dans le logis.
Celui-ci dénicha dans le fond du taudis
Une planche presque équarrie :
Le coin était dedans, le marteau tout auprès.
Bertrand jugea fort bien du but de ces apprêts;
Et d’abord se faisant de fête :
«Je crois, dit-il, qu’à son retour
Le patron, volontiers, verra sa planche prête;
Il me saura bon gré du tour.
Travaillons! Il faudrait être bien sotte bête
Pour ne savoir gouverner un marteau.»
Disant ces mots, le singe à folle tête
Frappe sur le coin, bien et beau,
Ouvre la planche, et déjà s’autorise
De cet essai pour avoir sa maîtrise.
Mais bientôt, retirant le coin
Pour l’enfoncer un peu plus loin,
Il oublia que sa queue était prise.
La planche se resserre, et Bertrand de crier.
Lors un vieux rat à barbe grise,
Concitoyen de l’atelier :
« Ami, dit-il, sans me faire prier,
Je voudrais te sortir de prise ;
Mais il y faut la main du menuisier.
En attendant, apprends, par cette crise,
Que la plus petite entreprise
Veut les soins d’un bon ouvrier.»
“Le Singe et la Planche”