Le savoir faire en tout vaut mieux que le savoir :
Oui, j’en crois Figaro : dans ce temps de lumière ,
Ami, veux-tu des arts parcourir la carrière ?
De parvenir par eux, as-tu nourri l’espoir ?
Ne va pas, absorbé, cherchant la solitude,
Contempler la nature, et plein de sa beauté,
En faire ton idole et ta plus chère étude :
Avilis ton génie, étouffe ta fierté ;
Va des Midas en titre encenser les caprices,
Fais fuir de leurs palais l’austère vérité,
Profane tes talens en caressant leurs vices ;
Sache étayer leur nullité
De ces grands mots menteurs, que la sottise achète ;
Bref, sans travaux, sans soins et sans capacité,
Intrigue, flatte, rampe… et ta fortune est faite.
Un conte, mes amis, vous le prouvera mieux.
Rival d’Apelle*, un singe ingénieux
Vivoit aux champs ; on sait quelle est l’adresse
De cette espèce.
Celui-ci, dans son art trouvant la volupté,
Plein de génie, en tout cherchoit la vérité.
Il excelloit, comme on peut croire ;
Content de peu, sage, il fuyoit la cour ;
Sans prôneurs, sans intrigue, et n’aimant que la gloire,
Qu’auroit-il fait dans ce séjour ?
Pourtant on l’y manda : porté par la déesse
Aux cent voix,
Son nom vint jusqu’au dais du Souverain des bois ;
Et sa hautesse,
Juste une fois,
Voulut le voir : il vint par déférence.
Quittant avec regret ses pénates des champs ;
Simple, prévenant peu, sans vaine confiance,
Son pinceau seul va prouver ses talens.
Il donnoit au coursier sa fougue impétueuse,
Le feu de ses naseaux, ses rapides élans ;
Sa criniere superbe, abandonnée aux vents,
Sur un cou libre et fier flottoit majestueuse.
S’avançant lentement d’un pas de Sénateur,
Le monarque fourré des forêts d’Helvétie,
L’ours, conservoit sa grave pesanteur.
Digne enfant de l’hypocrisie,
Saint Rominagrobis, l’œil baissé, l’air matois,
Paroissant composer sa voix,
Cachoit sous le duvet d’une pate adoucie,
Ses dards cuisans, qu’il lance en tapinois.
Le fléau des moutons, aflamé de carnage,
Grinçoit des dents, rouloit un œil brûlant de rage.
Dans la fange couché, contemplant un chardon,
Stupidement messire Aliboron
Vers le Ciel dressoit ses oreilles.
De ces portraits divers l’exacte vérité
Frappoit l’œil enchanté ;
Van Dyck eut de mon peintre admiré les merveilles.
Qu’en eut-il ? furieux de trouver traits pour traits,
Leur ressemblance,
Ces tyrans insensés s’écrièrent : vengeance !
A la satyre !… on hue, on jette les portraits ;
De ses ongles vengeurs signalant la puissance,
Avec fureur l’autour les déchira ;
Et voulant de l’artiste expliquer l’ignorance,
Maître Aliboron pérora ;
Et le singe ?… il sourit et garda le silence.
Un renard fraîchement sorti de son terrier,
Élève imberbe encor, mais pétri d’impudence,
Bien flagorneur de son métier,
S’inclinant, se courbant, vers le lion s’avance,
Très-humblement demande d’essayer ;
Il peint son embarras et son insuffisance :
Leur noble aspect, dit-il, l’accable tout entier.
On l’entoure, on l’accueille : il tremble en apparence ;
D’un regard patelin sollicite indulgence.
Et cependant du singe il a pris le pinceau ;
Au chevalet la toile est prête,
Il s’empare de la palette,
Et, tout en minaudant, commence le tableau.
Par lui tout a changé de face :
Tout-à-coup effaçant sa sombre majesté,
Sa terrible crinière et sa férocité,
Il donne au fier lion la finesse et la grâce :
Dans son oeil brille une aimable douceur,
La folâtre gaieté dans tous ses traits respire,
Sa gueule rugissante a perdu sa largeur,
Plus de dent meurtrière ;… il va presque sourire.
Ainsi fait le renard : et flatteurs d’applaudir,
Et les bravos de retentir.
Bientôt le léopard, le tigre, la panthère,
Jusqu’aux dogues mutins,
Ont pris sous ses pinceaux visage débonnaire,
Et traits de petits Saints.
Le baudet voit baisser ses oreilles saillantes ;
Il a tant léché l’ours qu’il la rendu mignon ;
Et pour comble de vrai, le milan, le faucon,
N’ont plus becs recourbés, ni serres déchirantes ;
Même l’on dit que le fin courtisan,
Ne négligeant aucun suffrage,
A l’animal grossier qui s’engraisse de gland,
Donna gentille allure et sémillant corsage.
A cet aspect éclatent les transports,
L’enthousiasme et les cris d’allégresse :
C’est l’artiste qu’il faut, la cour est dans l’ivresse ;
Pour l’attacher fallut-il des trésors,
Il en aura ; la faveur le seconde :
Patente, honneurs, or, chez lui tout abonde.
Ainsi de son rival il demeura vainqueur.
Le singe avoit déjà regagné sa retraite ;
Là, sous l’ombrage frais d’un bosquet enchanteur,
Au doux bruit des ruisseaux fuyant sous la coudrette
Aux voix des rossignols, au chant de la fauvette
Il oublia les grands et trouva le bonheur.
Ô toi, l’idole d’un grand cœur,
Du nourrisson des arts, noble et seule espérance,
Postérité ! de ton burin vengeur
Tu sus entre eux marquer la différence.
*Apelle de Cos, peintre grec
“Le Singe et le Renard, peintres”