Or çà, mes amis, essayons
De vous redire en vers tout ce que la chandelle
Disait naguère en prose, en voyant ses rayons
Porter jusqu’à six pas la lumière autour d’elle.
« Ce n’est pas tout-à-fait la clarté du soleil,
Et je n’éclaire pas une sphère aussi grande.
A cela près, je le demande,
Mon rôle au sien n’est-il pas tout pareil ?
A votre gré, monsieur, à votre goût, madame,
Écrivez, jouez ou lisez,
Tricotez, brodez ou cousez ;
A qui veut en user je prodigue ma flamme.
Vous blâmez le soleil de trop tôt se coucher,
De se lever trop tard ; qu’il dorme en paix sous l’onde
Et l’on ne saura pas s’il est nuit en ce monde,
Pour peu qu’on ait pris place à cette table ronde,
Et que l’on pense à me moucher. »
Cependant, le soleil, averti par les heures,
Plus alerte et plus radieux,
Avait abandonné les humides demeures,
Et ses premiers rayons doraient déjà les deux.
A mesure qu’il perce et dissipe les voiles
Par la nuit étendus sur le monde obscurci,
Voyez-vous pâlir les étoiles ?
Les étoiles, la lune, et la chandelle aussi !
Ainsi, dans mainte académie,
Passez-moi la comparaison,
Le faux esprit s’éclipse auprès de la raison ;
Le bel esprit s’éclipse à côté du génie.
« Mon enfant, dit l’astre du jour
En plaignant sa rivale à demi-consumée
De perdre sa gloire en fumée,
Veux-tu de ton triomphe assurer le retour ?
Fais tout fermer, porte, fenêtre,
Volets surtout ; fais que la nuit
Règne à jamais dans ce réduit :
La nuit te fait briller, je la fais disparaître. »
“Le Soleil et la Chandelle”