Un Jupiter de la finance (¹)
Faisait bâtir pour sa Junon
Un temple que les dieux de France
Nomment leur petite maison.
Il va trouver un peintre, et lui dit: « Fais-moi vite
« Un tableau qui soit de mon goût.
« Je te le prierai bien , c’est là notre mérite.—
« Quel sujet?—Un cheval.—Superbe? — Pas du tout;
« Moi, je baille quand j’admire.
« Peins-moi quelque bardeau qui le soir sans façon
« Se vautre sur le sable et me fasse bien rire;
« C’est là mon genre, et, crois-moi, c’est le bon. »
Le peintre rougissait. Qu’y faire?
Midas n’avait rien pu concevoir de plus beau,
Et même le choix du tableau
Est à mes yeux la preuve claire
Que l’âme de ce Turcaret,
Si Pythagore n’en impose,
Avait subi , sous la peau d’un baudet,
Sa dernière métamorphose.
L’artiste promet tout à l’or du financier.
Mais quand seul avec son génie
Il travaille en son atelier,
Toute promesse est vaine, et lui-même s’oublie.
De plus, on m’a conté qu’en telle occasion
Il faisait, par précaution,
Sur son Plutus jeter un voile.
Il peint donc… Un cheval ?.. Sans doute ; mais non pas
Dans l’ignoble attitude où le voulait Midas :
C’est un coursier qui vole et bondit sur la toile,
De ses jarrets nerveux assouplit les ressorts ,
Et mêle aux flots de la poussière
Les vagues de sa crinière ,
Et l’humide vapeur qu’exhale tout son corps.
Il achevait ce bel ouvrage,
Quand le Midas impatient
Revient le voir. Figurez-vous la rage
Qui du traitant démonte le visage
A l’aspect du coursier fier émule du vent.
A l’aspect du coursier fier émule du vent.
Mais le peintre lui dit : « Monsieur, point de colère ,
« Du haut en bas retournez le tableau. »
Turcaret obéit, et, parce tour nouveau,
Voit alors le cheval roulant dans la poussière.
Enfans des arts, élèves d’Apollon,
Pour la mode qui vient de naître,
N’abandonnez jamais le goût ni la raison.
La sottise osera peut-être
Parodier, retourner vos tableaux ;
Mais la postérité, punissant cette audace,
A vos immortels travaux
Rendra leur véritable place.
1 – Le fond de cette fable est tiré d’un Eloge de Démosthènes attribué au philosophe Lucien. Le peintre dont il s’agit s’appelait Pauson.
“Le Tableau”