Bernard Le Bouyer de Fontenelle
Ils sont deux dieux, portant ailes au dos,
Les plus méchans qu’ait Jupin à sa table :
L’un est le temps, mangeur insatiable,
Vieillard chenu, mais, hélas ! trop dispos
Et l’autre, qui ? c’est l’enfant de Paphos.
Quand cet enfant a pris beaucoup de peine
Chez son beau-père à forger une chaîne,
Qui de deux cœurs doit unir le destin,
Vient le barbon qu’on ne peut trop maudire,
Qui vous la ronge et vous l’use à la fin ;
Adieu la chaîne, et le vieillard malin
S’envole ailleurs, riant d’un vilain rire.
Fut-il jamais, sous sa cruelle dent,
Liens si forts qu’ils fissent résistance ?
Ces jours passés je le vis cependant
Avec l’Amour en bonne intelligence.
Tous deux, tous deux, l’enfant et le vieillard,
Ils composoient une chaîne durable ;
Le temps lui-même en serroit avec art
Tous les chaînons. N’est-ce point une fable ?
Non, je l’ai vu, vu de mes propres yeux,
Ou je le sens, pour vous dire encor mieux.
“Le Temps et l’Amour”
Bernard Le Bouyer de Fontenelle – 1657 – 1757