Entre les mains des vieux docteurs
À qui l’humanité doit tant de funérailles,
Un homme, hélas ! se tord sous d’atroces douleurs :
Un ver, le ténia, lui ronge les entrailles.
En vain prodigue-t-il et le lait et le miel
A son avide parasite.
A peine a-t-il fini, que celui-ci s’agite
Plus fort, plus ardent, plus cruel,
Et cherche à perforer son cœur d’un coup mortel.
Un savant vient et dit : « Laisse là le laitage,
Et tout ce qui nourrit le mal dont tu te plains.
Crois-moi, bois cet amer breuvage,
Il contient pour les vers des poisons souverains. »
Le souffrant prend le bol, le vide ; et le vampire
Dans les convulsions presque aussitôt expire.
Il est aussi pour le corps social
Un ténia rongeur, parasite infernal,
Qui, de ses longs anneaux déroulant le cortège,
Dans son immense torsion
Enlace la production.
Ce monstre, c’est le privilège.
Pour l’expulser du sein de la société,
Ce qu’il faut, ce n’est point choses édulcorées,
Mais des décrets amers, mais des lois acérées,
Mais le droit dans sa force et sa rigidité.
“Le Ténia”, Joseph Déjacque, 1821 – 1864