Roi d’un jardin délicieux ,
Protecteur du passant qui cherchait un ombrage,
Un Tilleul portait jusqu’aux cieux
Le luxe épais de son feuillage.
Non loin de là , roi du peuple arbrisseau,
Enfant chéri de la nature,
Un Laurier , au bord d’un ruisseau,
Etalait sans orgueil sa timide parure.
« Ami, dit le Tilleul, tout fier de sa splendeur,
«Le ciel pour toi me semble trop injuste:
» Vois mes rameaux et ma grandeur;
» Du tronc jusqu’au sommet mesure ma hauteur.
Mais, toi, que je te plains ! frêle et stérile arbuste,
» Tes rameaux isolés végètent sans honneur;
» Encore si du ciel la bonté protectrice
» Ne m’avait près de toi placé pour ton bonheur ,
» Seul, aurais-tu bravé l’Aquilon destructeur
» Et les feux brûlants du solstice?
» Que dis-je? l’homme encor, pour comble d’injustice ,
» Semble du ciel pour toi partager le dédain,
» Et son mépris trop inhumain
» Resserre entre quatre ais tes racines chétives;
» Tandis que de sa propre main
» Il étend en berceaux mes branches fugitives.
» De l’élégant Tilleul, tels étaient les discours.
Le Laurier sans se plaindre écoutait son langage.
L’épigramme est l’arme des sots,
Méprisant de si vains propos.
Et le silence est le plastron du sage.
Notre Tilleul bientôt changea de ton.
Sans pourtant changer de nature.
La bise vint, et l’Aquilon,
Triste fléau de la verdure,
Ravagea son feuillage épais,
Tandis que son rival en paix ,
Des noirs frimas bravant l’injure,
Embellissait de sa parure
Et les jardins et les palais.
On ignore long-tems le modeste génie;
D’un fat brillant l’éclat prématuré
Efface quelquefois sa tardive énergie,
Et jusqu’au terme de sa vie
Le moment du triomphe est pour lui différé ;
Mais la mort vient dissiper la magie :
Il reste seul, et l’immortalité,
Victorieuse de l’envie,
Le venge des affronts de la rivalité.
“Le Tilleul et le Laurier”