Avec grand bruit et grand fracas
Un Torrent tombait des montagnes :
Tout fuyait devant lui ; l’horreur suivait ses pas ;
Il faisait trembler les campagnes.
Nul voyageur n’osait passer
Une barrière si puissante :
Un seul vit des voleurs, et se sentant presser,
Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
Ce n’était que menace, et bruit, sans profondeur ;
Notre homme enfin n’eut que la peur.
Ce succès lui donnant courage,
Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
Il rencontra sur son passage
Une Rivière dont le cours
Image d’un sommeil doux, paisible et tranquille
Lui fit croire d’abord ce trajet fort facile.
Point de bords escarpés, un sable pur et net.
Il entre, et son cheval le met
A couvert des voleurs, mais non de l’onde noire :
Tous deux au Styx allèrent boire ;
Tous deux, à nager malheureux,
Allèrent traverser au séjour ténébreux,
Bien d’autres fleuves que les nôtres.
Les gens sans bruit sont dangereux :
Il n’en est pas ainsi des autres.
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 1. Avec grand bruit et grand fracas..
Voyez comme La Fontaine varie ses tons ; voyez comme il monte , comme il descend avec son sujet. Opposez à cette peinture du torrent, celle de la rivière , huit ou dix vers plus bas. Remarquons aussi ce trait de poésie du voyageur qui va traverser
V. 23. Bien d’autres fleuves que les nôtres.
On peut objecter que, dans cette fable , le marchand est forcé de passer la rivière , comme il a été forcé de passer le torrent, et que la fable serait meilleure , c’est-à-dire, la vérité que l’auteur veut établir mieux démontrée , si le marchand , ayant le choix de passer par la rivière , ou par le torrent, eût préféré la rivière. Cela peut être, mais il en résulterait que la fable est bonne et pourrait être meilleure.