Avec fracas, du sommet des montagnes
Tombait un torrent mugissant :
Un ruisseau près de là s’en allait doucement,
De ses tranquilles eaux fécondant les campagnes.
Le torrent lui disait : « Pauvre ruisseau dormant,
Je vous plains ; tandis qu’à la ronde
On entend le bruit de mon onde,
Vous vous traînez languissamment
Et vous passez inconnu dans le monde. »
« C’est vrai, répondit le ruisseau.
Je passe inconnu, mais votre eau
Détruit, et la mienne féconde.
Souillé par un limon impur,
Vous poursuivez sans but votre course bruyante ;
Mais le soleil se mire en mon onde dormante,
Et du ciel en mon sein je reflète l’azur. » 1
Ainsi purs et sereins coulent les jours du sage ;
Le vent des passions n’en trouble pas le cours :
De la Divinité son cœur simple est l’image,
Pareil à l’onde du rivage
Qui réfléchit l’éclat et la paix des beaux jours.
“Le Torrent et le Ruisseau”
Commentaires sur la fable par l’Abbé O. Meurisse :
1 Cette fable est écrite en vers gracieux et limpides où l’on sent davantage le calme du ruisseau que la fougue du torrent. Boileau, dans son Art poétique (ch. I, t. 167), s’est servi de cette double comparaison pour recommander d’éviter dans le style la précipitation et le tracas : ses vers sont remarquables d’harmonie incitative.