J. B. Rose Bonaventure Violet d’ Epagny
Le Tournesol et les fleurs
Dans un parterre où mille fleurs
Répandaient leurs douces odeurs,
Un tournesol, à la lige élancée,
Présentant au soleil sa tête nuancée,
Se pavanait avec orgueil;
Il n’accordait pas un coup-d’œil
Aux autres fleurs, dont la foule empressée
Semblait mériter plus d’accueil.
Une pensée, auprès de lui fleurie,
Modestement lui disait quelquefois :
Mon cher ami, c’est une étourderie
De mépriser la terre, ta patrie,
Et les bons amis d’autrefois.
Au blond Phébus on sait ce que tu dois:
Comme toi, chaque fleur lui rend un humble hommage,
Toutes nous attendons de sa bénignité
Noire éclat et noire beauté;
Mais à nos sœurs nous faisons bon visage,
Et nous nous aiderions, s’il venait un orage:
Il ne fait pas toujours beau temps;
Souvent on a besoin d’un abri tutélaire
Contre l’inclémence des vents:
El l’arbuste le plus vulgaire
Nous sauve quelquefois de graves accidents.
A ce discours, le courtisan superbe
Répondit sans baisser les yeux:
Qu’importe l’amitié des gens cachés sous l’herbe?
De l’astre étincelant qui brille dans les cieux
J’ai constamment suivi le disque radieux;
J’adore sa chaleur, et ma fleur parasite,
Tirant son nom de lui, devient sa favorite.
Aussi, dès qu’il verse ses dons,
Je voudrais, à moi seul, absorber ses rayons.
A ce propos joignant un dédaigneux sourire,
Il indigna les fleurs qui paraient les gazons,
El courrouça Flore et Zéphire.
Alors vers le ciel azuré
L’on vît naître un sombre nuage,
Le soleil en fut entouré;
Bientôt le plus affreux orage
Sortit de son flanc déchiré.
Chaque fleur à l’instant s’accolle à sa voisine,
Chacune se protège, et réciproquement
Soutient l’autre contre le vent,
Dont le souffle les déracine.
Le pauvre tournesol, sans secours, sans appui,
Veut résister en vain, hélas! c’est fait de lui !
Sa tige fragile est brisée!
Il a vu son dernier soleil !
Et sa fleur vient mourir au pied de la pensée,
Dont il négligea le conseil.
A la cour jouez-vous un rôle,
Ayez pour le temps de malheur
Un bon ami qui vous console.
L’éclat du courtisan s’envole
Avec le vent de la faveur.
L’amitié des puissants est un bien si frivole!
Et le plus brillant protecteur Ne vaut pas un ami du cœur.
« Le Tournesol et les fleurs »
Epagny, Jean Baptiste Rose Bonaventure Violet d’ (1787-1868)