Jean du Frout
Fabuliste contemporain – Le Tourteau et la Crevette rose
Un vieux tourteau perclus de crampes et d’arthrite,
Carapace têtue mais pattes décrépites,
Ne quittait plus guère l’anfractuosité
Abritant sa retraite et sa morosité.
Une crevette rose, un gracile bouquet,
Vint danser devant lui son aguichant ballet.
Vive dans l’onde claire, agile, séduisante,
Elle sait qu’on la voit, l’allumeuse craquante.
A force de frôler du dormeur le museau,
Lascive, provocante, pattes en arceaux,
Les antennes mutines, la queue baladeuse,
La coquine effrontée se conduisait en gueuse.
« N’approche pas trop près car, en un vieux réflexe,
Mes pinces pourraient bien s’écarter circonflexes,
Puis refermer sur toi leurs mâchoires fatales, »
Dit alors le tourteau, voyeur mais amical.
« Et tu aurais grand tort » lui dit la gigolette.
« Oublie ton appétit, sa logique simplette.
A peine dégustée, tu m’auras oubliée,
Alors que, chaque jour, je saurais te charmer.
Je serais la seule, l’unique, la choisie,
Celle que tu attends, l’apprivoisée chérie.
Pour toi j’inventerais la plus belle des danses
Et tu verrais mon cœur, battant en transparence. »
Le tourteau, tout gaillard : « Ah ! Crevette jolie !
Tu me fouettes le sang. Je sens que je revis.
L’attente a des attraits ignorés du glouton
Qui confond volupté et précipitation. »
Moralité :
Rêver et fantasmer, passe-temps délicieux,
Bon pour les plus jeunes, excellent pour les vieux.
» Le Tourteau et la Crevette rose, Paris 5 février 2010″
Jean du Frout