Pierre Louis Solvet
Homme de lettres, écrivain et analyses des fables – Le Vieillard et ses Enfants
Analyse: Le Vieillard et ses Enfants de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812
XVIII. Le Vieillard et ses Enfants, Ésope , F.174 — Plutarque (Traité de la démangeaison de parler.)

Sans prétendre rien diminuer du charme de ce récit, nous nous permettrons de faire observer qu’il présente plutôt une allégorie qu’une Fable. Si ce père avait raconté à ses enfants avec quel bonheur trois taureaux se garantirent du lion tant qu’ils furent unis, et comment ils en devinrent bientôt la proie, dès qu’ils furent brouillés, et que chacun d’eux chercha sou pâturage, c’est alors qu’il eût instruit ses enfants par le moyen d’une Fable proprement dite. (Voltaire, Mèl. de Littèr.)
V. 1. Toute puissance est faible, à moins que d’être unie.
Puissance unie, latinisme auquel cet ancien adage vis imita fortior, présent à l’esprit du poète, aura donné lieu.
V. 4. C’est pour peindre nos mœurs……..
Voilà le grand mérite des Fables de La Fontaine, et personne ne l’avait eu avant lui. (Ch.)
Chamfort se trompe : Phèdre manifeste les mêmes sentiments dans le prologue de son 3e.. livre, où il avance en propres termes, qu’en composant ses Fables,
son intention n’a point été de censurer tel ou tel, mais de peindre les mœurs des hommes :
………..et non point par envie.
Il était inutile d’ajouter et non point par envie ; le désir de surpasser un auteur mort il y a 2,4oo ans ne peut s’appeler envie, c’est une noble émulation qui ne peut être suspecte ; celui même de surpasser un auteur vivant ne prend le nom d’envie que lorsque ce sentiment nous rend injuste envers un rival. (Ch.)
Neque haee invidia, verum emulatio, avait dit, long-temps auparavant, Phèdre,dans le Prologue déjà cité ; mais c’est bien sans y penser que, dans sa remarque , Chamfort se rencontre avec ce poète : car, s’il eût eu son vers présent à l’esprit en examinant cette Fable, il eût ici bien plutôt reproche à La Fontaine une omission essentielle qu’une inutile superfétation.
V. 8. Mais venons à la fable, ou plutôt à l’histoire.
1 – Le Vieillard et ses Enfants
Toute puissance est faible, à moins que d’être unie:
Ecoutez là-dessus l’esclave de Phrygie.
Si j’ajoute du mien à son invention,
5 – C’est pour peindre nos mœurs, et non point par envie:
Je suis trop au-dessous de cette ambition.
Phèdre enrichit souvent par un motif de gloire;
Pour moi, de tels pensers me seraient malséants.
Mais venons à la fable, ou plutôt à l’histoire
10 – De celui qui tâcha d’unir tous ses enfants.
Ce vers justifie la citation de la double source où nous pensons que La Fontaine a pu puiser son sujet. « Je me souviens d’avoir lu jadis ; y ajoutera Voltaire, dans le recueil des voyages de Plancarpin, de Rutebruquis et de Marc-Paolo, qu’un chef de Tartares, étant près de mourir, récita à ses enfants la fable d’un vieillard qui donne à ses fils un faisceau de flèches à rompre. » (Mél. de Littér.)
38 – L’ambition, l’envie, avec les consultants,
Dans la succession entrent en même temps.
40 – On en vient au partage, on conteste, on chicane:
Le juge sur cent points tour à tour les condamne.
Créanciers et voisins reviennent aussitôt,
Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut.
Les frères désunis sont tous d’avis contraire:
45 – L’un veut s’accommoder, l’autre n’en veut rien faire.
Tous perdirent leur bien, et voulurent trop tard
47 – Profiter de ces dards unis et pris à part.
V. 38. l’ambition, l’envie, avec les consultants,
Dans la succession entrent en même temps.
Entrent est ici très-hardi. M. Clément ne manque pas de le remarquer dans son Commentaire sur J. B. Rousseau, , à l’occasion de ces deux vers :
Seigneur, dans ta gloire adorable
Quel mortel est digne d’entrer?
justifiant l’usage de cette heureuse acception du verbe entrer par des exemples pris de Bossuet, de La Bruyère, enfin celui-ci de La Fontaine,qui peint en cet endroit, avec une énergique rapidité, tous les soins des héritiers avides et tous les débats d’intérêt qui agitent et dévorent une succession.
V. 47. Profiter de ces dards unis et pris à part.
La consonance de ce mot dard, placé à l’hémistiche, avec la rime à part, offense l’oreille. (Ch.)