Le dernier de la pauvreté
Vaut mieux que l’écu d’or donné par la richesse.
Le brave est beau coursier, tout cassé de vieillesse,
Languissait à l’écart, malade et rebuté.
Quelques grains obtenus par importunité,
Donnés avec humeur, soutenaient sa faiblesse.
Ce n’était plus le temps où d’un maître orgueilleux
Partageant les plaisirs, les dangers et la gloire,
La Grèce le voyait triompher dans ses jeux.
Ou dans les champs de Mars courir à la victoire.
Alors, dans la coupe des Dieux
Le noble Bucéphale était digne de boire.
Maintenant, délaissé, sans honneur, sans secours,
(Ingrats humains, malheur à qui n’est plus utile !)
Il adressait au ciel une plainte stérile.
Et pleurait en vain ses beaux jours.
Un bon chien, – j’ai toujours fort aimé cette espèce, —
Vieux lui-même, et partant dans un coin oublié.
De son triste sort eut pitié :
Le malheur, comme on sait, dispose à la tendresse.
« Relève, lui dit-il, ton front humilié.
Il te reste un ami; que rien ne nous sépare:
De ce pain, qu’une main avare
M’abandonne à regret, accepte la moitié.
C’est bien peu, je le sais…..« — Arrête,
Reprit le moribond en soulevant sa tête;
De ce don précieux connais mieux la valeur;
C’est un trésor pour moi : je le dois à ton cœur.
Tu vois ces yeux éteints, tu vois ces flancs étiques;
Je meurs ; mais du destin je ne sens plus les coups.
« Le vieux Cheval et le vieux Chien »
Louis-Pierre Rouillé, 1757-1844