Charles-Guillaume Sourdille de la Valette
Écrivain, poète et fabuliste XVIIIº – Le vieux renard et son fils
Ton fils le voit ou le saura :
Ce que tu fais, il le fera.
Certain Renard goutteux, paralytique.
Jadis l’effroi des poulaillers voisins.
Était forcé par l’âge et par les médecins
De respecter la paix publique.
Faute de mieux, le voilà qui s’applique
A donner à son fils unique
Sur l’honneur et sur la vertu
Des leçons dignes du Portique.
Ce n’était pas le premier qu’on eût vu,
Vrai diable au fond du cœur, s’exprimer comme un ange :
«Le temps peut nous dompter, rarement il nous change.
« Mon fils, disait le vieux cafard ,
« De mon expérience acceptez l’héritage :
« Nos frères sont, hélas ! pour la plupart.
« Enclins au vol, au brigandage ;
« Mais le ciel punit les méchants :
« Ne chassez donc qu’aux rats des champs.
« Aux taupes, aux mulots, engeance malfaisante :
« De peu la vertu se contente.
« Dieu vous préservera des trappes,
« les lacets. « Du plomb mortel et des bassets. »
Très-innocent, mais très-prêt à malfaire.
Le Renardeau cependant grandissait :
Je ne sais quoi l’avertissait
Qu’il n’était né pour si maigre ordinaire.
Un jour, se promenant, il trouve au coin d’un bois
Une jeune et blanche poulette.
Quel mets friand ! D’un père oubliera-t-il la voix ?
Osera-t-il emporter la pauvrette?
« Grâce, grâce, seigneur! Nous étions six enfants,
« Et je reste orpheline, hélas! et sans parents :
« Votre père, seigneur, a mangé ma famille.
« — Il a croqué la mère, et j’épargne la fille !… »
Dit le jeune Renard. Tout scrupule cessa:
La pauvre poulette y passa.
Charles-Guillaume Sourdille de Lavalette