Un vieux renard, suivi d’un jeune loup,
Rôdait le long d’un bois, cherchant, par aventure,
A faire quelque mauvais coup.
La nuit était obscure ;
Cependant nos larrons
Virent un troupeau de moutons
Qui dormait dans un champ :
«Sur ma foi, mon compère,
Dit le loup au renard.
« Le sort nous est prospère !
«Jetons-nous au hasard
«Sur ce troupeau, tête baissée,
« Et nous ferons une franche lippée
« De moutons et d’agneaux,
«Les plus tendres et les plus gros ! »
« —Ami, dit le renard, trompeuse est l’apparence :
«Ce tranquille sommeil cache quelque danger ;
«Je crains les chiens et le berger.
« Libre à toi d’en courir la chance !
«J’irai, pour moi, tenter d’autres destins :
«Tu reçus force en partage ;
« Moi, la ruse ; voyons, en suivant nos instincts,
« Qui de nous en viendra le plus tôt à ses fins. »
Il s’éloigne à ces mots, et gagne le village ;
S’approche d’une ferme, avance avec lenteur.
Dans la crainte de quelque piège ;
Va droit au poulailler pour en faire le siège ;
Un gros mur le protège,
Il en mesure la hauteur :
Pourra-t-il, d’un seul bond, parvenir à sa crête ?
Il se livre à quelques essais ;
Puis, certain du succès,
A sauter il s’apprête.
Mais un chien de la ferme a senti l’ennemi ;
Il accourt : le renard quitte aussitôt la place ;
Dans un taillis voisin il se met à l’abri.
Le chien le poursuit sur sa trace ;
Maître renard l’attire au fond du bois.
Disparait, puis se montre en maints et maints endroits :
Le chien se déroute et se lasse.
Au poulailler notre rusé matois
Revient alors en tapinois ;
Il franchit la muraille,
S’abat sur les dindons, massacre la volaille ;
Puis, après une ample ripaille,
Prestement et sans bruit,
A l’aube du jour il s’enfuit.
Mais, voyant un bas d’une treille.
Des raisins à la peau vermeille ,
Qui n’étaient ni trop verts, ni bons pour des goujats
Il les croque en surplus pour finir son repas.
Quand il revint à sa tanière,
Il trouva le loup, son ami,
Mort à demi,
Roué de coups, gisant par terre,
Et qui pis est, le ventre creux.
Adresse et patience,
A la guerre, valent bien mieux
Que force et violence :
En amour (si j’en crois les gens d’expérience),
Il en serait de même : avis aux amoureux !
“Le vieux Renard et le jeune Loup”