De nos récits chassons l’emphase ;
Laissons le stile ambitieux
À ces chantres hardis qu’embrase
L’ardeur de célébrer les héros et les dieux.
Moi, chantre d’animaux et simple fabuliste,
Je dois conter naïvement,
Suivre toûjours la nature à la piste.
Nous le sçavons ; c’est notre rudiment ;
Mais prenons garde à la bassesse
Trop voisine du familier.
Souvent un auteur sans adresse
Veut être simple ; il est grossier.
Point de tour trivial, aucune image basse ;
Apollon veut expressément
Que l’on soit rustique avec grâce,
Et populaire élégamment.
Cela n’est pas aisé. J’en conviens ; mais qu’y faire ?
Dit le lecteur. Ce n’est pas mon affaire :
Surmontez la difficulté.
Quand votre ouvrage sçait me plaire,
Je ne calcule point ce qu’il vous a coûté :
Mais je vous louë ; et ce salaire
Mérite bien d’être acheté.
Vous parlez de bons sens, cher lecteur, et j’adopte
Ce solide raisonnement.
Veut-on plaire ou déplaire ? Il faut qu’un auteur opte ;
Qu’il écrive sans peine, ou bien mal-aisément.
C’est par le travail que l’on cache
L’air même du travail qui déplairoit aux gens.
Du creux de la cervelle un trait naïf s’arrache ;
Il semble s’être offert, on l’a cherché long-temps.
Mais revenons au style de la fable.
Il est aisé, sans faste et sans ambition ;
Si ce n’est que l’occasion
Demande un ton plus haut, alors plus convenable.
Comme on sçait, toute regle a son exception.
La Fontaine est naïf, eh bien ce La Fontaine
Nomme le vent qui déracine un chêne,
Le plus terrible des enfans
Que jusques-là le nord eût porté dans ses flancs.
Fort bien. Le fait en vaut la peine.
Ici, je suis en cas pareil.
J’éleve un peu ma voix ; mais pourroit-on s’en plaindre ?
Devois-je moins ? J’avois à peindre
Toute la gloire du soleil.
Sur son char lumineux devancé par les heures,
Et des traits enflammés perçans le sein des airs,
Le soleil du plus haut des célestes demeures
Donnoit le plus beau jour qu’eut jamais l’univers.
La terre en devenoit plus belle et plus féconde ;
Flore brilloit de toutes parts ;
Et Cérès à la tresse blonde
Déployoit ses trésors dans les plaines épars ;
Mille soleils nouveaux étinceloient dans l’onde.
Il sembloit enfin que le monde
Vouloit par sa beauté mériter ses regards.
Ah ! C’est trop, s’écria la lune,
Tant de splendeur blesse mes yeux.
Le soleil prétend-il régner seul dans les cieux ?
D’une gloire qui m’importune
Il faut anéantir l’éclat injurieux.
Je veux par un coup de ma tête,
Apprendre au monde qui je suis :
C’est déja moi qui fais les belles nuits ;
Faisons-nous un droit de conquête
De donner aussi les beaux jours.
Le soleil est de trop ; c’est assez de mon cours,
Ce qu’elle projettoit, la folle l’exécute :
Elle se va placer entre nous et Phoebus ;
Lui livre le combat. Mais quoi ! De cette lutte
Quel fut le fruit ? En brilla-t-elle plus ?
Au contraire, cette avanture,
Qui sur tout l’horison jetta l’obscurité,
Nous apprit que de sa nature
Dame lune n’étoit qu’une planette obscure,
Et de son frère seul empruntoit sa clarté.
Hommes, voilà notre imprudence.
Nous prenons bien souvent, pour nous faire valoir,
Des moyens insensés qui ne font que mieux voir
Notre jalouse insuffisance.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, L’Eclipse.