Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort
Les Animaux malades de la peste, analysée et commentée par Chamfort – 1796
- Les Animaux malades de la peste.
Les Animaux malades de la peste, ce second volume ouvre par le plus beau des Apologues de La Fontaine, et de tous ses Apologues. Outre le mérite de l’exécution , qui dans son genre est aussi parfaite que celle du chêne et du roseau, cette fable a l’avantage d’un fond beaucoup plus riche et plus étendu ; et les applications morales en sont bien autrement importantes. C’est presque l’histoire de toute société humaine.
Le lieu de la scène est imposant ; c’est l’assemblée générale des animaux. L’époque en est terrible , celle d’une peste universelle ; l’intérêt aussi grand qu’il peut être dans un Apologue, celui de sauver presque tous les êtres ; hôtes de l’univers sous le nom d’animaux, comme a dit La Fontaine dans un autre endroit. Les discours des trois principaux personnages, le lion, le renard et l’âne , sont d’une vérité telle que Molière lui-même n’eût pu aller plus loin. Le dénouement de la pièce a , comme celui d’une bonne comédie , le mérite d’être préparé sans être prévu , et donne, lieu à une surprise agréable, après laquelle l’esprit est comme forcé de rêver à la leçon qu’il vient de recevoir , et aux conséquences qu’elle lui. présente.
Passons au détail
L’auteur commence par le plus grand ton. . . Un mal qui répand la terreur, etc.. . C’est qu’il veut remplir l’esprit du lecteur rie l’importance de son sujet, et de plus il se prépare un contraste avec le ton qu’il va prendre dix vers plus bas.
V. 13. Les tourterelles se fuyaient ; Plus d’amour , partant plus de joie. Quel vers que ce dernier ! et peut-on mieux exprimer la désolation que par lé vers précédent ? . . Les tourterelles se fuyaient. Ce sont de ces traits qui valent un tableau tout entier. Il paraît, par le discours du lion, qu’il en agit de très-bonne foi, et qu’il se confesse très-complètement. Remarquons pourtant après ce grand vers :
V. 28. Même il m’est arrivé quelquefois de manger Remarquons ce petit vers. . . Le berger. II semble qu’il voudrait bien escamoter un péché aussi énorme. On se rappelle cet acteur qui, dans Dupuis et Desronais, escamote par sa prononciation le mot de cette petite fille. Voyez ensuite ce scélérat de renard , ce maudit flatteur, qui ôte à son roi le remords des plus grands crimes.
V. 37. . . . . Vous leur fîtes, seigneur, En les croquant beaucoup d’honneur. Puis vient ce trait de satire contre l’homme et contre ses prétentions à l’empire sur les animaux , reproche qui est assez’ grave à leurs yeux pour justifier leur roi d’avoir mangé le berger même. Aussi le discours du renard a un grand succès. Je ne dirai rien des grandes puissances qui se trouvent innocentes , mais pesons chaque circonstance de la confession de l’âne. V. 49…..J’ai souvenance. . . Qu’en un pré de moines passant. . . . Il ne faisait que passer. L’intention de pécher n’y était pas. Et puis un pré de moines ! la plaisante idée de La Fontaine d’avoir choisi des moitiés, au lieu d’une commune de paysans, afin que la faute de l’âne fût la plus petite possible , et la confession plus comique.
V. 56. Un loup quelque peu clerc . . . . Voilà la science et la justice aux ordres du plus fort, comme il arrive , et n’épargnant pas les injures , ce pelé, ce galeux, etc. Enfin vient la morale énoncée très-brièvement :
V. 65. Selon que vous serez heureux ou misérable , Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. Non-seulement les jugements de cour, mais les jugements de ville et je crois ceux de village. Presque partout, l’opinion publique est aussi partiale que les lois. Partout on peut dire comme Sosie dans l’Amphytrion de Molière: Scion ce que l’on peut être , Les choses changent de nom.