Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Commentaires sur la fable – Les Animaux malades de la peste
Les Animaux malades de la peste : analyses de MNS Guillon – 1803
- Les Animaux malades de la peste.

C’est parmi les gens de lettres une tradition commune , que celle de toutes les fables de La Fontaine que son auteur estimait le plus, c’est la fable du Chêne et du Roseau. Croirait-on, d’après cela , qu’il puisse exister en ce genre quelque ouvrage plus beau et plus parfait? Oui, me répondait un homme. à qui la nature avait accorde’ le précieux avantage d’unir la sagacité de l’esprit le plus fin, le plus délicat, à la plus étonnante érudition; oui, La Fontaine a quelque chose encore de plus achevé. —Eh! quoi donc ? — Ses Animaux malades de la peste.
Nous ne prononcerons point entre La Fontaine et l’auteur d’Anacharsis. Il faut ou les droits du premier , ou l’autorité du second, pour avoir la confiance de juger entre tant de délicieuse» compositions. Au moins pouvons-nous assurer que La Fontaine ne pouvoir être égalé ou surpassé que par lui-même : et quel poète crue celui dont il faut douter encore , après avoir lu cette excellente production, si c’est bien là son chef-d’œuvre?
Supposons que ce même sujet se fût présenté à l’imagination d’Ésope : voici à-peu-près comment il l’eût traité. La peste régnait parmi les animaux. Le Lion les ayant convoqués , leur dit : le fléau qui nous accable est sans doute un châtiment du ciel, qui suppose un coupable et demande une victime. Qui se sentira criminel , se sacrifie ; et pour Cela, que chacun de nous confesse ses fautes. Les principaux d’entr’eux avaient accusé les plus énormes délits, lorsque l’Âne s’avança, et dit : je me souviens d’avoir un jour dérobé dans un champ quelques poignées de foin ; c’est peut-être là le crime que les Dieux punissent par une contagion générale. Oui, s’écrièrent à-la-fois tous les animaux; voilà le coupable auteur de tous nos maux ; et le malheureux Baudet fut mis à mort.
Le récit d’Ésope n’eût point manqué de ce sens profond qui le caractérise, et de cette précision qui ne connaît point de milieu entre le nécessaire et l’inutile. Phèdre fût venu après, qui, fortifiant l’expression du fabuliste grec par des accessoires délicats et gracieux, eût peint ses caractères, non par-des descriptions étendues, mais par des images vives, par des discours directs et rapides ; par des couleurs animées, brillantes; et, au lieu d’une peinture décharnée, il eût ajouté à ses charmantes études une miniature pleine de goût, de délicatesse et d’intérêt.
Que le Phidias de l’apologue s’empare de ce même sujet ; quel caractère imposant va s’imprimer à ses personnages ! de combien de beautés nouvelles son génie fécond, inépuisable enrichira ce dessin qui, sous les pinceaux de Phèdre, aura, ce semble,acquis toute sa perfection ! Tour-à-tour terrible et gracieux, pathétique et riant, fier et naïf, plaisant et grave , il entraînera notre admiration par la majesté de son ordonnance, l’intelligence des teintes et l’art profond des gradations, la finesse des traits, la magnificence et le naturel du coloris. Vous avez vu dans les monuments antiques, le fils de Japet versant la vie avec le feu du ciel dans le sein de sa statue, et la créant à l’existence d’une masse d’argile est devenue sous les mains de Prométhée , la sublime , la céleste Pandore : La Fontaine a paru, et la fiction s’est réalisée»
Suivons, autant qu’il est en nous, le fil des méditations à travers lesquelles s’est composé le bel apologue dont il est question. Essayons de pénétrer en quelque sorte le secret de sa création , et ici encore de surprendre la nature sur le fait.
La Fontaine veut mettre en action cette vérité d’expérience, que les hommes déterminent leurs arrêts sur la puissance ou lé crédit , et non point sur la justice. L’apologue lui présente ses mensonges et ses acteurs. Les inventeurs du sujet, Pilpay, Philelphe et Raulin les ont choisis. Voilà les animaux assemblés, et, à coté de ses chers animaux, La Fontaine, qui, l’œil fixe, le corps immobile, se livre tout entier à l’attente de l’inspiration. Tout-à-coup son génie s’échauffe ; La Fontaine n’est plus là; il est dans chacun des acteurs qu’il met en scène ; dans ce Lion, roi des animaux, président-né de leur conseil; dans ce Renard, dont les yeux pleins de vivacité et de finesse, portent l’empreinte de son caractère cauteleux et ardent ; il passera dans cet animal lourd et pesant, dont la nature n’a fait qu’une bête de somme, et l’injustice des humains , une victime.
Le premier objet qui a dû frapper sa pensée, c’est le motif même de leur convocation. Il faut délibérer sur les causes et les remèdes d’un fléau contagieux qui les afflige. Quels sont les sentiments et les aspects que ce fléau fait naître dans son âme? C’est-d’abord l’effroi. La nature dicte; La Fontaine écrit :
Un mal qui répand la terreur,
L’Imagination fortement empreinte de cette idée en est poursuivie, obsédée ; l’expression s’en retrace encore sons sa plume. Nos grands poètes sont pleins de ces éloquentes répétitions: la suspension Qu’elles produisent excite ce puissant intérêt qui naît de la curiosité.
Mal que le Ciel en sa fureur,
Quoi donc ! un tel fléau peut-il être parti du ciel ? N’est-ce pat plutôt dans les Enfers qu’en est la source? Non; le poète a vu l’enfer limité dans ses fureurs ; l’Enfer n’agit que comme ministre; La plut terrible des fléaux doit émaner de la toute – puissance du ciel, et du ciel irrité : c’est le iracunda fulmina d’Horace , dans les mains de son Jupiter.
Inventa pour punir ses crimes de la terre.
A cette expression inventa, ne dirait-on pas que le ciel a travaillé long temps ce fléau avant de le lâcher contre la terre ? On invente, dit l’abbé Girard, de nouvelles choses par la force de l’imagination ( Synon. franç, p. 234 ). C’est le dernier effort des vengeances célestes. – Pour punir tes crimes de la terre. L’énigme est expliquée. Quels crimes ne suppose pas un tel châtiment?
Mais quel est-il encore ce mal si affreux ? La mémoire seule? en est-elle donc si redoutable que l’on n’ose pas même, en proférer le nom ? Oui ; mais il le faut bien :
La peste , puisqu’il faut l’appeler par son nom.
Le voilà échappé, Admirez dans le poète ce sentiment vertueux et profond; il voudrait anéantir jusqu’au nom de ce fléau vengeur. C’est le vœu célèbre du président Christophe de Thon ( et non, pour le dire en passant, du chancelier de l’Hôpital ) sur la Saint Barthélémy.
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron.
Virgile appelle ce fleuve des enfers l’avare Achéron. Que de tributs il faut pour enrichir un avare ! C’est vouloir combler un gouffre sans fond. La peste le fait, et le fait en un seul jour. L’histoire justifie le poète, et le lecteur sensible frissonne d’horreur.
Faisait aux animaux la guerre.
Ce vers, sont une apparence simple, présente une foule d’idées, Idée juste: Horace fait marcher les fièvres par escadrons febrium.