Autrefois les chèvres, dit-on,
N’avaient point de barbe au menton.
A Jupiter un jour elles en demandèrent,
Prétendant, comme elles l’insinuèrent,
Que les boucs alléguaient cette distinction
Pour s’emparer, sans motif ni raison,
De l’autorité conjugale,
Qui de chaque côté doit être en tout égale.
C’était un pur oubli de la Création,
Dont elles demandaient la réparation.
Jupiter mûrement examina l’affaire,
Et ne voyant, au fait, nul inconvénient,
Dans l’espèce, à les satisfaire,
Leur accorda cet ornement,
Qui paraissait tant leur plaire.
En voyant leurs mentons de la barbiche ornés,
Les boucs jaloux eurent un pied de nez,
Et, tout confus et consternés,
Auprès de Jupiter à leur tour se rendirent,
Et devant lui vivement se plaignirent
De cette innovation,
Comme d’une usurpation
Du signe distinctif de leur suprématie.
— Passez-leur cette fantaisie,
Leur dit Jupin, leur sexe a la manie
De tout ce qui paraît et qui brille au dehors.
Elles ne vous font aucuns torts,
Vous serez toujours les plus forts
Et les maîtres, quoi qu’elles fassent,
Et par où vous voudrez, il faudra qu’elles passent.
Jupin a-t-il toujours raison ?
Il est du moins des chèvres, ce dit-on,
Des chèvres à deux pieds, au gracieux visage,
Qui sans même avoir l’avantage
De porter barbe au menton,
Sont les maîtres dans la maison.
“Les Chèvres, les Boucs et Jupiter”