Abel Fabre
Abbé, instituteur et fabuliste XIXº – Les Chèvres qui demandent des cornes
Les chèvres autrefois, de cornes dépourvues,
Dirent à Jupin, roi des nues:
« 0 Jupin, regarde nos fronts;
Point d’armes; cependant sur la boule où nous sommes
On rencontre des loups, des enfants et des hommes,
Gens vils, scélérats et fripons;
Eh ! bien, ô Jupiter, arme nos fronts de cornes,
Et, tout en admirant ta puissance sans bornes,
A jamais nous te bénirons. »
« Mes filles, dit le dieu, vous voilà satisfaites. »
Des cornes à l’instant poussèrent sur leurs têtes ;
Une épaisse barbe au menton
Compléta même un si beau don.
« 0 Jupin, s’écrièrent-elles,
Une barbe à des demoiselles,
Plaisantez-vous ? en tout cas, grand merci,
Reprenez votre barbe et les cornes aussi. »
Et les voilà criant, des jours, des nuits entières ;
Jupin fut sourd à leurs prières.
Leçon à vous, mâles beautés,
Qui, préférant une plume à l’aiguille,
Régnez sur le Parnasse et non dans la famille.
Croyez-moi, descendez de ces monts enchanteurs,
Laissez à l’homme les misères,
Les durs travaux et les pensées austères.
A vous les richesses du cœur,
La paix facile et l’aimable douceur,
Comme le dit sagement un auteur:
Il vous faudrait, pour marcher sur nos traces,
Jeter dans le sentier la couronne des Grâces :
Oh ! n’en faites pas l’abandon ;
Elle vous sied trop bien, Mesdames,
Vous êtes femmes, restez femmes,
Ou gare la barbe au menton !
Abel Fabre