Pierre Louis Solvet
Homme de lettres, écrivain et analyses des fables – Les Compagnons d’Ulysse
Études sur La Fontaine, Les Compagnons d’Ulysse, Pierre Louis Solvet,1812
- Les Compagnons d’Ulysse.
A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE.
Plutarque, Dialogue sur l’âme des bêtes entre Circé, Ulysse et Gryllus(1).
V. 1. Prince, l’unique objet du soin des immortels.
Pourquoi l’unique? La Fontaine fait mieux parler les animaux qu’il ne parle lui—même. Voyez, dans ce livre douzième, dédié à ce même duc de Bourgogne, la Fable de l’Éléphant et le Singe de Jupiter, qui a pour objet d’établir que les petits et les grands sont égaux aux yeux des immortels.
V. 10. Il ne tient pas à lui que, forçant la victoire, Il ne marche à pas de géant Dans la carrière de la gloire.
M. le Dauphin, qu’on appelait Monseigneur, père du duc de Bourgogne, commandait l’armée d’Allemagne, et avait sous ses ordres,et pour conseil, MM. les maréchaux de Duras, de Boufflers et d’Humières.
V. 16. Peut-être elle serait aujourd’hui téméraire.
Ne dirait-on pas que M. le Dauphin avait le choix d’avancer ou de n’avancer pas? Il n’avançait point, parce qu’il ne le pouvait, parce qu’il s’élevait souvent des sujets de division entre les trois maréchaux.
V. 17……..Aussi bien les Ris et les Amours.
On ne voit pas trop ce que les Ris et les Amours ont à faire dans une pièce de vers adressée à un prince de huit ans, élevé par le duc de Beauvilliers et M. de Fénélon.
Ces sortes de Dieux, et la raison qui tient le haut bout, sont d’un style très-négligé.
V. 27. Les compagnons d’Ulysse, etc…….
Le sujet qu’a pris ici La Fontaine est plutôt un cadre heureux et piquant pour faire une satire de l’humanité, qu’un texte d’où il puisse sortir naturellement des vérités bien utiles. Aussi l’auteur italien que La Fontaine imite (2 ) dans cet apologue, en a-t-il l’ait un usage purement satirique. La force du sujet a même obligé La Fontaine à suivre l’intention du premier auteur jusqu’au dénouement, où il l’abandonne. (Chamfort.)
V. 4o. Il s’en vit de petits : exemplum ut tulpa.
C’est une espèce de proverbe latin : la taupe , par exemple. (Ch.)
Cette expression , qui n’est remarquable que par sa singularité, n’est nullement un proverbe, mais seulement une imitation du dernier vers de ce passage d une épitre de Scarron à M. Foureau ;
… Les donataires sont juifs :
Sitôt que la sottise est faite,
Le trépas du sot on souhaite ,
Et s’il ne meurt, c’est un larron :
Exemplum ut Paulus Scarron.
V. 46. Prit un autre poison peu différent du sien.
Quel bonheur dans le rapprochement de ces deux idées ! et quelle grâce fine à la fois et naïve pour justifier Circé, qui parle la première ! Une déesse dit tout ce qu’elle a dans l’âme. (Ch.)
V. 52. Mais la voudront-ils bien ?
Ceci prépare les refus des compagnons d’Ulysse. On voit que chacune de leurs réponses est une satire très-forte de l’homme en société; et l’auteur italien développe d’une manière encore plus satirique les raisons de leur refus. (Ch.)
Rémond de St.-Mard, dans ses Réflexions sur la Fable , M. Lebreton, dans sa Logique adaptée à la Rhétorique, font un long et magnifique éloge, le premier, du prologue de cette Fable, le second, de la Fable elle-même, ou plutôt de la profondeur et de la justesse des raisonnements des compagnons d’Ulysse, que son étendue nous force a rejeter à la fin du volume.
(1) La Fontaine, en adressant cette Fable au duc de Bourgogne, s’est rencontre’ avec Fénelon, son sage instituteur, qui a de même tiré paru, pour l’instruction de son élève, de ce morceau de Plutarque, dont il a composé un de ses plus intéressants dialogues.
(2) L’auteur italien dont Chamfort prétend que cette Fable est imitée , est Golli, dont l’ouvrage a pour litre : la Circe di Giovan Ëoptista Gelli , academico fiorentino, Fiorenza , 1550, in -8°, Quant à nous, il nous paierait peu vraisemblable que La Fontaine, à qui la lecture de Plutarque était si familière , ait tiré son sujet de cette source, lorsque le dialogue que nous avons cité en tête de cette fable, en renfermait déjà les principales circonstances.