Un loup chargé d’ans et de gloire ,
Rendait l’âme, et, plein de candeur,
Tout contrit, de ses jours de faiblesse et d’erreur
Faisait l’examen méritoire : « Oui, » disait-il,
«je suis un grand pêcheur ;
» Et plus d’une trahison noire
» Pèse en ce moment sur mon cœur !
» Mais, je puis l’attester devant Dieu qui m’écoule,
» Si j’ai l’ait quelque mal, j’ai fait aussi du bien !
» J’en chéris la pensée… Un jour (je m’en souviens),
» Une brebis , qui s’égarait sans doute ,
» En bêlant, à moi vint s’offrir:
» Paisible et souriant, je lui montrai sa route ,
» Et la fis au bercail rentrer sans coup férir.
» Une autre fois, un mouton en démence
» Me traita d’assassin!… Sans punir l’indiscret,
» Je m’éloignai, dédaignant cette offense ;
» Il était seul pourtant, sans berger, sans défense;
» Et, je le jure ici, nul chien ne le gardait.
» On peut citer, lorsqu’il faut que l’on meure ,
» Le peu de bien qu’en ce monde on a fait! »
— « J’affirme à tous ce double trait,
» Dit un renard, qui, dans la dernière heure,
En fidèle ami l’assistait ;
« La vérité m’en est connue;
» En témoin je puis en parler ;
» Car un os, dont plus tard te délivra la grue ,
» T’empêchait alors d’avaler. »
Léon Halévy – 1802 – 1883 (Les derniers moments du Loup)