Les loups ne se mangent pas :
De ces brigands c’est la morale unique.
Combien d’espèces ici-bas
Devraient les imiter, au moins par politique.
L’homme d’abord, et puis l’insecte famélique
Dont les doigts allongés suspendent aux plafonds
Les filets destructeurs d’imprudens moucherons.
Car j’ai lu dans plus d’une histoire
Que les fils d’Arachnée se dévorent entre eux ,
Bassement invités à ces repas honteux
Par la faim, et non par la gloire.
J’ai fini ma préface, et j’en viens au récit.
Dans un même recoin filaient deux araignées
Mâle et femelle, à ce qu’on dit.
En perfides réseaux par l’instinct façonnées,
Leurs toiles se touchaient; mais le reste, néant.
L’une des deux , c’était la demoiselle,
Un beau jour voulut pourtant
Du sauvage voisin avoir quelque nouvelle,
Vers sa toile elle glisse, et non pas sans frisson,
En tire un fil…. et puis attend réponse.
Car chez les bonnes gens on entre sans façon ;
Mais chez les autres on s’annonce.
« Qui va là ? » dit le sournois.
« C’est moi, » répond la curieuse,
Faisant la petite voix ;
« De causer avec vous je suis vraiment joyeuse.
« Vivre seul n’est pas bien.— C’est pourtant le plus sûr.—
« Ah ! voisin, ce propos est dur ,
« De vous aimer j’aurais si bonne envie! —
Dites plutôt de me manger.—
« D’honneur, je n’ai pas faim.— Quel garant, je vous prie,
« A le croire peut m’engager? —
« J’ai là dans mes filets des mouches en réserve,
« Que je vous donnerai pour gage de ma loi ;
Marions-nous.— Dieu m’en préserve.
« J’abhorre tout plaisir qu’on goûte avec effroi.—
« Je promet? d’être douce, et tendre, et ménagère.—
« C’est avec ces beaux mots qu’on a croqué mon père.
« La belle, adieu. Regagnons nos deux trous ;
« Je ne vaux pas, dans le fond , mieux que vous :
« Mais je reste célibataire. »
Point d’amour entre les médians.
Le bonheur n’est venu sur terre
Que pour les cœurs innocens.
“Les deux Araignées”