Fables de l’Académie des jeux floraux
M. Charles Tirel de La Martinière (1792-1846), un des quarante Mainteneurs.
Lue dans la séance particulière du 20 juillet 1839
( Imitation de l’Espagnol.)
« Eh quoi, Sultan, c’est toi qui voles notre maître? »
Toi, le gardien chéri de la maison !
» A cette noire trahison,
» Ciel! qui pourrait le reconnaître?
» Malheureux! ne le sais-tu pas?
» Le larcin n’appartient qu’aux chats ;
» Et toujours, l’honneur, la franchise,
» L’amour et la fidélité,
» De la race canine ont été la devise :
» Combien de fois te l’a-t-on répété !…
» Mais notre gloire, hélas! est par toi compromise!…
» Ainsi parlait Médor à Sultan le larron,
Qui ne répondait mot, et pour bonne raison;
Il tenait dans sa gueule un quartier de mouton.
Et Médor poursuivit : « O funeste aventure!
» D’un tel exploit combien tu rougirais,
» Sultan, si je le racontais
» Les histoires et les hauts faits
» Où plus d’un noble chien figure !
» Peux-tu d’ailleurs songer sans douleur, sans effroi,
» Que soupçonné, puni pour toi,
» Un autre (qui sait? moi peut-être),
» Sera chasse, comme un voleur, un traître….
» Oh ! je t’en prie à deux genoux,
» Renonce à ton désir qui nous compromet tous;
» Savoir se vaincre est un plaisir bien doux,
» Ce plaisir, cher ami, tu voudras le connaître;
» Et tu vas sans doute, au plutôt,
» Sans bruit, dans le buffet reporter ce gigot. » —
« Cher Médor, j’apprécie et tes soins et ton zèle,
» Reprit Sultan ; du chien le plus fidèle
» Ce sont là les touchants discours :
» Malheur à ceux que trouve sourds
» Une morale et si pure et si belle !
» Dans l’amertume ils passeront leurs jours.
» Moi, je suis convaincu…. Mais avant que je fasse
» Ce que ta vertu me prescrit,
» Sur un point important explique-toi de grâce,
» (Car il faut, avant tout, s’entendre comme on dit),
» Et ceci très-fort m’intéresse : –
» Ce morceau succulent, objet de ma faiblesse,
» Et qui cause ici nos débats,
» Si je le laisse, ami, ne le prendras-tu pas?….»
“Les deux Chiens”
Recueil de l’Académie des Jeux Floraux – 1839