Un jeune chien barbet, un vrai caniche enfin,
Avait à peine un mois lorsqu’il perdit sa mère ;
Une main charitable, une riche rentière,
Dans son appartement recueille l’orphelin,
Et non loin du foyer lui construit une niche ;
Comme un petit mouton élève le caniche,
Et de mets délicats
Apprête ses repas.
Notre petit barbet, par mainte gentillesse
Amusait sa vieille maîtresse :
Tantôt faisait le mort ou le ressuscité ;
Sur son derrière assis, la tète de côté,
Tantôt l ‘air gai, tantôt l’air sombre,
Faisait à tout venant des grimaces sans nombre.
La vieille n’aurait pas, pour mille pièces d’or,
Cédé son cher petit Azor :
C’était son Dieu, son tout, son unique trésor.
Bref, notre petit drôle
Jouait fort bien son rôle.
Pour prix de son talent, le jeune bateleur
Recevait maint présent, faisait fort chère lie,
Etait traité de monseigneur :
Sa maîtresse, en un mot, l’aimait à la folie.
Non loin du ventre heureux,
Vivait dans l’indigence,
Un pauvre chien galeux
Occupé, dès l’enfance,
A préserver des loups les paisibles brebis.
A mon maître dit-il, je fus toujours soumis :
Il me laisse sans pain dans ma cage fétide !
De ma fidélité voilà donc tout le prix
Ô l’inhumain ! ô le perfide !
Si j’avais seulement dans mon auge un peu d’eau
Pour éteindre le feu qui dévore ma peau !…
Il en aurait dit davantage,
Mais un mouton du voisinage
(Mouton sincère et prudent),
Arrivant en ce moment,
Lui tint à peu près ce langage :
De tout temps, en tous lieux, les emplois, les honneurs
Furent toujours le lot des stupides flatteurs ;
Mais quant aux zélés serviteurs,
Hélas ! mon pauvre chien, n’est-ce pas l’ordinaire
De leur donner congé s’ils ne peuvent rien faire !
“Les deux Chiens et le vieux Mouton”