J’aime qu’on soit content alors qu’on pourrait l’être.
Mais de gens ainsi faits en trouve-t-on ? Peut-être.
Tout ce que j’affirme en ce point,
C’est que moi je n’en connais point.
Chacun veut s’élever ; c’est par là qu’on débute.
On grimpe à la fortune, à la gloire, aux honneurs.
Parfois on réussit ; plus souvent quelque chute
Du sort, en beau chemin, arrête les faveurs.
Le sage dans le rang où le ciel le fit naître,
Tout humble qu’il puisse être,
Sait vivre heureux d’estime ; et s’il vient à tomber,
Ce n’est pas d’assez haut pour jamais succomber.
Deux citoyens des champs, escargots de naissance,
Vont, mieux que mes discours, prouver ce que j’avance :
Sur le tapis moelleux d’un bois
Tous deux entre des fleurs rampaient en tapinois.
Ils n’avaient, par bonheur, nulle pressante affaire,
Et s’avançaient sans bruit à leur pas ordinaire ;
Devisant en chemin de ceci, de cela.
Bien que la politique en rien ne s’y mêlât,
L’accord pourtant fut de courte durée.
« Messieurs les escargots, tout aussi bien que nous,
Dit Pline en quelque endroit, diffèrent dans leurs goûts
Tant l’union parfaite est partout ignorée ! »
Donc l’un des promeneurs eut la démangeaison
D’aller sur un fayard installer sa maison.
L’autre alors dans son langage,
Lui tint un discours très-sage.
Mais bien loin d’être écouté,
Il ne fut que plaisanté.
Pendant que de la sorte, à l’envi l’un de l’autre,
Nos gaillards s’escrimaient tous deux,
L’un à prêcher en bon apôtre,
Et l’autre à n’en grimper que mieux,
Survint un vent plein de furie
Par qui notre grimpeur fut secoué si fort,
Qu’il ne fit qu’un saut de la vie
Dans les bras de la mort.
“Les deux Escargots”