Deux fous dans une rue, un jour, se rencontrèrent :
De Bicêtre était l’un, l’autre de Charenton,
Tous deux s’apercevant s’arrêtèrent, dit-on,
Et soudain de rire éclatèrent.
Chacun de ces infortunés
Riait de son pareil sans devenir plus sage.
Combien de gens n’en font pas davantage,
Sans du bon sens se croire abandonnés ?…
Il en est temps, arrêtons-nous, ma muse ;
Car de ceci l’on va conclure, hélas !
Que, si parfois la fable nous amuse,
Elle ne nous réforme pas.
Trop clairvoyants pour les travers des autres,
Nous ne verrons jamais les nôtres.
Le monde fut toujours ce qu’il est aujourd’hui,
Quelques efforts qu’ait faits la fable.
La Fontaine l’a dit en son livre admirable :
Que ferions-nous, nous autres, après lui ?…
Mais qu’importe ! Le bien me tente.
0 ma muse, sois-moi constante.
Dans ce rude métier de corriger autrui,
Soutiens ma force et mon courage ;
Et, sans hésiter, sans faiblir,
Bientôt nous reprendrons l’ouvrage,
Dussions-nous n’y pas réussir.
“Les deux Fous”