Deux Frères différoient d’état,
Ils différoient, encor plus par leur ame ;
On va le voir : l’un toujours à la tame,
Pour subsister, travailloit en forçat.
Il ne devoit qu’à la fatigue,
A ses sueurs, un nécessaire ingrat ;
L’autre savoit des Cours le manège & l’intrigue :
Il y vivoit en Potentat ;
Ami du Prince & servant ses faiblesses,
Vil complaisant & flatteur éternel,
Il voyoit le bonheur placé dans les richesses :
Son coffre en regorgeoit, grâces à ses bassesses.
Partant, il se croyoit le plus heureux mortel.
Pauvre insensé ! disoit-il à son frère,
Pour échapper à la misère,
Ainsi que moi, que ne sers-tu la Cour ?
Et toi, répond l’autre à son tour,
Pour sortir d’un lâche esclavage
Qui te prosterne aux pieds d’un Roi,
Que ne viens-tu, plus modéré, plus sage,
Labourer les champs avec moi ?
« Les deux Frères »