Le singe et l’ours firent un jour
Annoncer, au son du tambour,
Qu’ils allaient, en place publique,
Le lendemain ouvrir boutique.
Pour attirer la foule et les chalands,
En commerçant honnête,
L’ours avait fait emplette
D’articles loyaux et marchands,
Et d’une qualité parfaite !
Quant au singe, moins scrupuleux,
Il n’étalait aux yeux
Des curieux,
Qu’objets de pacotille,
Et d’un coût fort douteux.
Mais, d’une façon si gentille,
Et par des airs si prévenants,
Il accostait tous les passants,
Que jeune garçon, jeune fille,
Grands-papas et petits-enfants,
Dans la boutique entraient tous à la file :
Là, maître Gille,
L’œil caressant, le pied agile,
Vif, alerte, s’évertuait,
Allait, venait et s’empressait
Avec tant de grâce et de zèle,
Que chacun se disait : « Comment
« Ne pas vider son escarcelle
« Dans la caisse d’un marchand
« Si complaisant ! »
Bref, à la fin de la semaine.
Il avait écoulé sans peine
Tout son vieux fonds de magasin !
Quant à l’ours, son voisin,
Morose, atrabilaire,
Blotti dans son comptoir comme dans sa tanière
D’une si maussade manière
Il recevait les gens,
Qu’à peine entrés dans sa boutique,
Les chalands,
Saisis d’une terreur panique,
À l’aspect d’un patron
Si grognon,
S’enfuyaient au plus vite.
Toujours seul en son gîte,
Mangeant fort et ne vendant rien,
D’abord il écorna son bien ;
Vinrent ensuite
Les emprunts, les billets
Et les protêts ;
Puis la faillite !
Enfin, on vendit sa maison
À l’enchère,
Avec cette inscription :
« En liquidation
« Pour mauvais caractère ! »
Cette fable, à plus d’un marchand,
Prouvera que souvent
Façon courtoise et mine exquise,
Valent autant
Que bonne marchandise.
“Les deux Marchands”