À s a s monseigneur le duc.
Prince, que je ne tiens pas
Compte
De surnommer vaillant, car
Vaillant et Condé
C’est même chose et j’aurois honte
D’un pléonasme décidé :
C’est la noble candeur, la droiture héroïque
Qu’aujourd’hui je célébre en toi :
Que la France aime à voir Condé le véridique
Chargé de lui former un roi !
Louis sçaura de toi que son palais doit être
Le temple de la vérité ;
Et que si le mensonge a le front d’y paroître,
L’insolent doit être traité
En criminel de leze-majesté.
De ta bouche sincère il va souvent entendre
Qu’il n’est roi que pour notre bien ;
Et le ciel dans ton cœur a pris soin de répandre
Tout ce qui doit regler le sien.
Veille donc sur cette ame à tes soins confiée ;
Que ses vertus croissent avec ses jours ;
Et qu’à jamais répudiée,
La flatterie en d’autres cours
Aille chercher azile : elle en aura toûjours
Les rois la souffrent trop ; c’est-là leur grande faute ;
Elle corrompt enfin les princes les meilleurs ;
Mais du moins, la reléguant ailleurs,
Que le roi ne soit pas son hôte.
Au temple de Delphes un jour
Un roi grec suivi de sa cour,
S’en alla consulter l’oracle.
Il vouloit des amis dont il ne pût douter ;
Mais sa grandeur est un obstacle
À ce jugement sûr qu’il en vouloit porter :
Car comment distinguer l’ami de sa personne
D’avec l’ami de sa couronne,
Le zéle d’avec l’intérêt,
L’attachement réel de ce qui le paroît ?
C’étoit l’embarras du monarque.
Il entre seul au temple, interroge Appollon,
Et lui demande à quelle marque
Il connoîtra l’ami digne d’un si beau nom.
Tu veux, lui dit Phoebus, un ami véritable ?
Celui qui t’osera dire la vérité,
La vérité désagréable,
Sera ton homme : adieu ; voilà ta sûreté.
Le prince sort sans rien faire connoître.
Toute sa cour ensuite eut son oracle à part :
Ils demandoient tous par quel art
Ils pourroient faire un ami de leur maître.
En le flatant toûjours, leur dit l’oracle à tous :
Fausse loüange plaît, et l’orgueil la seconde :
N’allez pas dire vrai ; ce seroit fait de vous.
Ce dieu connoissoit bien son monde.
Comment ce double oracle ira-t-il à sa fin ?
Chacun étant ainsi muni de sa recette,
Ils s’assemblent tous au festin,
Où les a conviez le prince qui projette
D’éprouver sur eux son destin.
Mes amis, leur dit-il, au moment que la joye
Commençoit à regner entre nos commensaux,
Que la liberté se déploye :
De l’amitié ; rien plus ; nous sommes tous égaux.
Pour commencer, dites-moi moi défauts.
Si vous en avez, c’est de croire
Que l’on puisse vous en trouver ;
Dit la troupe en chorus. Et là-dessus de boire.
Un seul ne disoit mot. Qu’avez-vous à rêver,
Lui dit le roi ? Je rêve à votre gloire ;
Chacun vous flate ici ; je ne puis l’approuver ;
Vous avez cent vertus dont s’ornera l’histoire ;
Je l’avouë avec joye, et j’en sens tout le prix :
Mais je crains qu’un défaut nuise à votre mémoire ;
Que vos lauriers n’en soient flétris.
Vous aimez trop le vin ; et quelquefois l’yvresse
De votre front fait fuir la majesté.
Insolent ! Dit le roi ; tien, de ta hardiesse
Voilà le prix ; le coup étoit porté.
Enfin mon amitié m’a valu votre haine,
Dit le mourant ; l’oracle consulté
M’a prédit une mort certaine,
Si j’osois à mon roi dire la vérité.
Par l’excès du zèle emporté,
Je n’ai pû vous la taire, et j’en reçois la peine.
Qu’entens-je ? Dit le roi ; pardon, dieux irrités ;
Rendez-moi mon ami ; je reconnois son zèle.
M’allez-vous donc livrer à la troupe cruelle
Des flateurs qui me sont restés ?
Jusques au bout l’ami fidele
Lui dit : je meurs content si vous en profitez.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Les deux Oracles.