Puisque trancher est fort commun,
En montrer le danger est sans doute opportun.
Deux papillons, à leur manière,
Causaient par une sombre nuit.
Ils étaient différents d’esprit,
Se montrant, sur toute matière,
L’un fou, l’autre prudent… Parut une lumière,
Foyer tremblant, m’a-t-on conté,
Que promenait de ce côté
Une matinale fermière.
— Qu’est ceci? s’écria l’un des causeurs. — Ceci !
C’est un groupe de fleurs ailées,
Qui se sont ainsi rassemblées.
Pour venir en cachette ici
Célébrer quelque doux mystère.
Tu me diras que le vulgaire,
Qui ne voit rien que par les yeux,
Pourrait bien contester ce récit merveilleux ;
Mais à nous, papillons de haute intelligence,
Tout nous révèle l’existence
De ces fleurs, filles de la nuit,
Esprits follets de nos campagnes.
Viens donc, approchons-nous sans bruit ;
Peut-être pourrons-nous y trouver des compagnes.
Ne descendons-nous pas des fleurs? — Sans contredit,
Tu laisses voir beaucoup d’esprit ;
Mais as-tu beaucoup de prudence ?
Je vois ton groupe qui s’avance.
II est sans doute éblouissant ;
Mais que nous promet-il ? C’est fort embarrassant. —
— La peur te prend ; Dieu me pardonne !
Ce groupe nous promet l’amour.
Viens donc. La troupe papillonne
N’attend pour s’enfuir que le jour ;
Hâtons-nous. — Il y court bien vite.
On devine ce qu’il advint :
Il s’y brûla ; l’autre s’abstint.
Le fou tranche, le sage hésite.
“Les deux Papillons et la Lumière”
- Alexis Rousset , 1799 – 1885