On entend proclamer bien haut,
Qu’il n’est pas de plus grand fléau
Que la guerre. Il n’est pas pire assurément
Que le funeste aveuglement,
D’une mère. Je pourrais bien à ce sujet
Lâcher la bride à mon caquet,
Comme un autre, employer l’emphase,
L’hyperbole et la périphrase.
Mais non, car je préfère à la discussion
Le fait ; il frappe plus l’imagination.
Il n’est pas, j’en appelle aux personnes sensées,
De moyen plus certain d’exprimer ses pensées.
Croyant par conséquent ne pouvoir faire mieux,
J’expose simplement ce fait à tous les yeux.
Une maman avait deux filles,
Cela se voit souvent dans beaucoup de familles.
L’aînée était fort belle et gentille à croquer,
L’autre au contraire était d’un laid à remarquer.
Dans son coupable orgueil notre mère ébahie
Disait à tout venant : regardez donc Marie !
Cela si prudemment, que la fille, ma foi,
Semblait dire à son tour : Mortels, admirez-moi !
le savoir de l’aînée, on le conçoit d’avance,
Eut pour but principal la musique et la danse.
Notre mère, en effet, croyant que la beauté
Doit suppléer à tout, avait mis de côté
Ce qui fait ici-bas une femme accomplie.
Tous ces travaux, ces riens qui pourtant sont la vie
Etaient par conséquent dévolus à la sœur
Qui devint avant tout femme d’intérieur,
Dont l’espèce sa fait de jour en jour plus rare.
C’est bien triste à penser, (le monde est si bizarre),
Malgré tous ses attraits, l’aînée, on me l’a dit,
Ne put trouver d’époux et mourut de dépit
La cadette au contraire, et vous pouvez m’en croire,
Eut l’embarras du choix. Lecteurs, telle est l’histoire.
Chacun de vous en tirera
La conclusion qu’il voudra.
“Les Deux Sœurs”