Émile Pagès ou Louis Bergeron
Journaliste, écrivain et fabuliste XIXº – Les deux ventrus
Imitation de la fable de Lafontaine : les deux Mulets.
Deux ventrus voyageaient,l’un n’ayant que voté,
L’autre ayant porté la parole.
Celui-ci tout fier de son rôle
Espérait en tous lieux être félicité.
Aussi cheminait-il en poste,
Faisant claquer son fouet et brûlant le pavé
Comme un ambassadeur qui se rend à son poste.
En certaine ville arrivé,
D’électeurs mécontents une troupe se jette
Sur ses chevaux et les arrête ;
Puis, soudain, maint exécutant
A ce digne représentant
Administre une sérénade
Avec casserole et chaudron.
Notre pauvre orateur, étourdi de ce son,
Sans tambour ni trompette à grand’peine s’évade,
Et rejoignant son camarade :
« Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on m’avait promis ?
Moi dont la brillante éloquence
A remué tous les esprits,
Je reçois des charivaris ;
Et toi qui gardais le silence
Tu jouis de l’impunité.
Voilà donc le fruit de mes veilles ! »
— « Ami, dit l’autre député,
Tu croyais faire des merveilles
En blaguant pour les gens du roi.
Il n’est pas toujours bon d’avoir un tel emploi :
Si tu n’avais été qu’un voteur comme moi,
On ferait grâce à tes oreilles. »
Émile Pagès ou Louis Bergeron