Les poules de ma ferme étant, hélas ! malades,
Les fouines d’alentour, à quelques myriades,
Apprennent l’accident, s’affublent aussitôt
De belles peaux de paons ; chacune en paletot
Prend à travers les champs le chemin de la fermé
Où cette mascarade arrive de pied ferme.
Ayant examiné le terrain, le pourtour,
On escalade un mur, près de la basse-cour.
Ces dames fouines paons se dirigent très-vite
Vers le grand poulailler : les poules sont au gîte,
Elles ne pouvaient pas en ce moment bouger;
Elles avaient pourtant de quoi boire et manger.
Les fouines, en entrant, dirent : Pauvres malades,
Nous vous trouvons, hélas ! dés mines bien maussades.
Nous sommes tous partis, voulant vous secourir,
Bientôt avec vos maux, vous allez en finir ;
Ayez tout simplement un peu de patience,
Une guérison prompte et sans convalescence
Vous est bien assurée, à la condition
Que vous accorderez franche permission
A chacun de nous tous d’approcher de chacune.
Nous voulons profiter de ce beau clair de lune,
Pour vous administrer, avec un fier succès,
Plus qu’un soulagement, comptez sur les effets.
Notre entretien déjà, nous pensons, vous console.
—Vous vous trompez beaucoup, bien fort il nous désole
Disent poules et coqs; pour sûr notre santé,
Tout aussitôt privés de votre société,
Nous pouvons l’affirmer, redeviendra parfaite ;
Nous nous réjouirons, nous ferons grande fêle,
De suite avant le jour, et sans plus de retard;
Ayez pitié de nous, hâtez votre départ.
— Ce jour, j’avais dîné chez mon fermier Lemoine.
Avant de me coucher, je fis prier Antoine,
Un de mes ouvriers, de conduire Castor
Dans une basse-cour ; ce chien ronflait très-fort;
Aussi, pour l’éveiller, on eut un peu de peine,.
Tant il avait chassé tout le jour dans la plaine,
Néanmoins, arrivé dans cette basse-cour,
Une odeur de gibier réveille son amour,
Sa vive passion, son ardeur pour la chasse ;
Il va, vient, court partout, le voilà sur la trace,
Arrive au poulailler, voit un trou pratiqué ,
Tout au bas de la porte ; il le trouve masqué,
Mi-bouché par un grès, servant de bac à boire ;
Ce chien avec sa patte et sa bonne mâchoire
Eut la force et l’instinct de culbuter le bac.
Traversant avec peine, on entend cric et crac.
Pauvre bête, en passant par le trou de la porte,
Faite d’un bois léger, cependant assez forte,
Pour clore la retraite et l’habitation
Des poules et des coqs, fit une effraction.
Il en est résulté, pour lui, forte écorchure;
Mais mon Castor était d’une race très-dure,
Il ne s’en plaignit pas. Je vins en ce moment
Sur les lieux, étonné d’un pareil jappement.
J’aperçois mon bon, chien livrant une bataille,
Culbutant et frappant oh ! d’estoc et de taille,
Non les poules, les coqs, retirés dans un coin,
Mais bien les fouines paons, chacune en son pourpoint
Tant morte qu’expirante, en un mot taciturne.
A la pâle lueur du bel astre nocturne
Je ne pus découvrir le genre d’animal,
Des fouines j’ignorais le temps du carnaval.
La fermière arrivant avec une lanterne,
Nous vîmes les dégâts, position interne
Du poulailler, les coqs et les poules blottis
N’ayant plus de bâtons, qui leur servaient de lits,
Puis les morts et mourants, tout un remue-ménage,
Un vrai champ de bataille, un horrible carnage.
Nous sûmes à l’instant par un coq le fin mot,
Il chantait la victoire, en racontant tout haut
L’aventure, et comment elle s’était passée,
Enfin, comment leur vie, hélas ! fut menacée;
Il n’était pas malade, il tremblait de frayeur.
— Tout hardi que je suis, dit-il, j’avais bien peur ;
Castor nous a sauvés : c’est une fière chasse,
Quelle lutte, quel bal, sans violon, sans basse.
Pour les fouines, c’était une triste polka
Qui, faute de danseurs, hélas! bientôt cessa.
Plumes et peaux de paons et fouines trépassées,
Par ma fermière et moi sont vite ramassées;
Envoi du tout fut fait à Villers-Coteréts
Au tanneur travaillant pour les eaux et forêts.
J’en fis cadeau plus tard à mes deux jeunes filles,
Notre fourreur leur fit des parures gentilles ;
Quant aux plumes de paons, mon Anna, leur maman,
En mit sur un chapeau, fit du reste un écran.
Pour ceux connaissant bien les délits et forfaits
Que leurs mains ont commis; en voyant leurs méfaits
Ils redoutent la fin qui leur est réservée
Au tribunal de Dieu, sitôt l’âme arrivée.
“Les Fouines chez les Poules malades”