A l’œuvre on connaît l’Artisan.
Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent :
Des Frelons les réclamèrent ;
Des Abeilles s’opposant,
Devant certaine Guêpe on traduisit la cause.
Il était malaisé de décider la chose.
Les témoins déposaient qu’autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée*, et tels que les Abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi ! dans les Frelons
Ces enseignes étaient pareilles.
La Guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière
Entendit une fourmilière.
Le point n’en put être éclairci.
“De grâce, à quoi bon tout ceci ?
Dit une Abeille fort prudente,
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.
Il est temps désormais que le juge se hâte :
N’a-t-il point assez léché l’Ours ?
Sans tant de contredits, et d’interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les Frelons et nous :
On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties. ”
Le refus des Frelons fit voir
Que cet art passait leur savoir ;
Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tous les procès !
Que des Turcs en cela l’on suivît la méthode* !
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de Code ;
Il ne faudrait point tant de frais ;
Au lieu qu’on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs ;
On fait tant, à la fin, que l’huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.

Commentaires de Chamfort – 1796.
V- 7. Les témoins déposaient ; Cette formule de nos tribunaux est plaisante : elle nous transporte au milieu de la société. C’est le charme et le secret de La Fontaine ; il nous montre ainsi, qu’en parlant des animaux , il ne nous perd pas de vue un seul instant.
V. 31. Plut-à-Dieu, etc. Tous les procès ne sont pas de nature a être jugés ainsi ; et quant à la méthode des Turcs , Dieu nous en préserve. La voici : le juge , appelé Cadi, prend une connaissance succincte de l’affaire , fait donner la bastonnade, celui qui lui parait avoir tort, et ce tort se réduit souvent à n’avoir pas donné de l’argent au juge comme a fait son adversaire : puis il renvoie les deux parties.
Analyses de MNS Guillon – 1803.
L’Ours en léchant ses petits, ne les rend pas plus beau ; ainsi le juge en travaillant la discussion, ne la rend pas plus claire. Cette opinion que l’Ours forme ses petits en les léchant, est fondée sur une erreur populaire, réfutée par l’anglais Brown, Essai sur les Erreurs Popul. T.I.liv III.ch.6.
(7) On verra qui sait faire , avec un miel si doux, etc. Ainsi Plutarque a réuni dans un seul trait, l’éloge des précieuses qualités qui caractérisent l’Abeille. Nous vantons, dit-il, l’industrie de
l’Abeille, qui sait tirer des fleurs un miel délicieux ; nous lui savons gré d’une nourriture dont la douceur flatte et chatouille notre goût. ( Traité de l’Amour des Pères ,traduct, de l’abbé Ricard, T. VI. pag. 326. )
(8) Le juge, appelle Cadi, interroge les Plaideurs, fait donner la bastonnade à celui qui lui paroît avoir tort, et voilà l’affaire finie. Dieu nous préserve de semblable justice !
(9) On fait tant à la fin que l’huitre est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs. Analyse parfaite d’un apologue dont La Fontaine s’est chargé de nous donner le développement dans sa fable de l’Huitre et des Plaideurs. L. IX. fab. 9. (Les Frelons et les mouches à miel)