Je devais par la Royauté
Avoir commencé mon Ouvrage.
A la voir d’un certain côté,
Messer Gaster en est l’image.
S’il a quelque besoin, tout le corps s’en ressent.
De travailler pour lui les membres se lassant,
Chacun d’eux résolut de vivre en Gentilhomme,
Sans rien faire, alléguant l’exemple de Gaster.
Il faudrait, disaient-ils, sans nous qu’il vécût d’air.
Nous suons, nous peinons, comme bêtes de somme.
Et pour qui ? Pour lui seul ; nous n’en profitons pas :
Notre soin n’aboutit qu’à fournir ses repas.
Chommons, c’est un métier qu’il veut nous faire apprendre.
Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les bras d’agir, les jambes de marcher.
Tous dirent à Gaster qu’il en allât chercher.
Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent.
Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur ;
Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur :
Chaque membre en souffrit, les forces se perdirent.
Par ce moyen, les mutins virent
Que celui qu’ils croyaient oisif et paresseux,
A l’intérêt commun contribuait plus qu’eux.
Ceci peut s’appliquer à la grandeur Royale.
Elle reçoit et donne, et la chose est égale.
Tout travaille pour elle, et réciproquement
Tout tire d’elle l’aliment.
Elle fait subsister l’artisan de ses peines,
Enrichit le Marchand, gage le Magistrat,
Maintient le Laboureur, donne paie au soldat,
Distribue en cent lieux ses grâces souveraines,
Entretient seule tout l’Etat.
Ménénius le sut bien dire.
La Commune s’allait séparer du Sénat.
Les mécontents disaient qu’il avait tout l’Empire,
Le pouvoir, les trésors, l’honneur, la dignité ;
Au lieu que tout le mal était de leur côté,
Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.
Le peuple hors des murs était déjà posté,
La plupart s’en allaient chercher une autre terre,
Quand Ménénius leur fit voir
Qu’ils étaient aux membres semblables,
Et par cet apologue, insigne entre les Fables,
Les ramena dans leur devoir
Autres versions et analyses:
Analyses de Chamfort – 1796.
La Fontaine a pris ici le ton le plus simple, et ne paraît pas chercher le moindre embellissement. Il a craint sans doute qu’on ne le soupçonnât d’avoir voulu lutter contre Horace, qui, dans une de ses Épitres,- a mis en vers cet Apologue d’une manière beaucoup plus piquante et plus agréable.
V. 7. Chacun d’eux résolut de vivre en gentilhomme, Sans rien faire. . .Voilà un trait de satyre qui porte sur le fond de nos mœurs, mais d’une manière bien adoucie. C’est le ton et la coutume de La Fontaine de placer la morale dans le tissu de la narration, par l’art dont il fait son récit.
V. 25. . … Et la chose est égale. Pas si égale. Mais La Fontaine n’y regarde pas de si près. On verra ailleurs qu’il ne traite pas aussi bien l’autorité royale , et que même il se permet un trait de satyre qui passe le but. (Les Membres et l’Estomac)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
Un écrivain inspiré, dans qui la philosophie dut reconnoître les (Tome .I)
talens qui prouvent le génie, avant que la religion ne l’élevât sur ses autels, S. Paul, dans une de ses Épitres , s’exprime ainsi : ” Si le pied disoit: puisque je ne suis pas la main, je ne suis pas du corps ; est-ce que pour cela il ne scroit pas du corps? Et si l’oreille disoit : puisque je ne suis pas l’œil, je ne suis pas du corps ; est-ce que pour cela il n’est pas du corps ? Si tout le corps étoit œil, où seroit l’ouïe ? et s’il étoit tout ouïe, où seroit l’odorat ?… Or l’œil ne peut pas dire à la main, je n’ai pas besoin de votre secours, ni la tête dire aux pieds, vous ne m’êtes point nécessaires, etc.». (II. Cor. 12.) Dans cette supposition de l’Apôtre, vous découvrez les germes de la discorde des membres : encore un pas, et vous avez l’apologue. Témoin ce morceau de Rabelais : « Que chaque chose se mette à ne plus rien prester à autrui, vous allez voir, dit-il, ung terrible tintamarre. La teste ne vouldra prester la veue de ses yeux pour guider les pieds et les mains ; les pieds ne la daigneront porter. . . ; le cœur se faschera de tant se mouvoir pour le pouls des membres , et ne leur prestera plus…. Somme en ce monde delsrayé , rien ne debvant, rien ne prestant, rien n’empruntant, vous voirrez une conspiration plus pernicieuse que n’a figuré Esope en son apologue, et périra sans doute ». (Pantagr. L. III. ch. 3. Voyez aussi le Jouvencel, bien antérieur au Pantagruel, fol. 94 à 97.)
(1) Je devois par la royauté…lire la suite…