Notre cœur veut avoir sa pleine liberté ;
L’ombre de contrainte le blesse ;
Et c’est un roi jaloux de son autorité,
Jusques à la délicatesse.
Cet objet me plaît ; mais sur tout
Ne m’obligez pas de m’y plaire.
Ordonnez-moi ce que je voulois faire ;
Vous allez m’en ôter le goût.
Eh ! Pourquoi cette loi m’est-elle rigoureuse
En me liant à mon plaisir ?
C’est que je n’y sens plus cette douceur flateuse,
Que je goûtois à le choisir.
En choisissant, je croi du diadême
Exercer les droits souverains.
Quelque ordre survient-il ? Je ne suis plus le même ;
Le sceptre me tombe des mains.
Je songe alors à secouer ma chaîne,
Impatient de rentrer dans mes droits :
L’objet de mon plaisir le devient de ma peine ;
Ma dépendance est tout ce que j’y vois.
Tout beau, me dira-t-on ; réprimez ce langage ;
Nos devoirs selon vous sont donc un esclavage ?
La loi qui les prescrit nous devroit allarmer.
Non pas ; car elle est pour le sage
La beauté même qui l’engage ;
Et c’est choisir que de l’aimer.
Dans un bois habité d’un million d’oiseaux,
Spacieuse cité du peuple volatile,
L’amour unissoit deux moineaux
Amour constant, quoique tranquile ;
Caresse sur caresse, et feux toûjours nouveaux ;
Ils ne se quittoient point. Sur les mêmes rameaux
On les eût vûs perchés toute la matinée,
Voler ensemble à la dinée,
S’abreuver dans les mêmes eaux,
Célébrer tout le jour leur flâme fortunée,
Et de leurs amoureux duos
Attendrir au loin les échos.
Même roche la nuit est encor leur hôtesse ;
Ils goûtent côte à côte un sommeil gracieux ;
L’une sans son amant, l’autre sans sa maîtresse,
N’eût jamais pû fermer les yeux.
Ainsi dans une paix profonde,
De plaisirs assidus nourrissant les amours,
Entre tous les oiseaux du monde
Ils se choisissoient tous les jours.
Tous deux à l’ordinaire allant de compagnie,
Dans un piége se trouvent pris ;
En même cage aussi-tôt ils sont mis.
Vous voilà, mes enfans ; passez-là votre vie ;
Que vous êtes heureux d’être si bons amis !
Mais dès le premier jour il semble
Que le couple encagé ne s’aime plus si fort ;
Second jour, ennui d’être ensemble ;
Troisième, coups de bec ; puis on se hait à mort.
Plus de duos ; c’est musique nouvelle ;
Dispute et puis combat pour vuider la querelle
Qui les appaisera ? Pour en venir à bout,
Il fallut séparer le mâle et la femelle.
Leur flâme en liberté devoit être éternelle ;
La nécessité gâta tout.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Les Moineaux.