En présence étoient deux armées,
Qui d’un courage égal toutes deux animées,
Différoient seulement de force et de secours.
Un long rang d’élephans qui sur de hautes tours,
De soldats bons archers portoit mainte cohorte,
Servoit à l’une de rempart.
L’autre armée est plus foible, et n’a contre la forte
Que bon courage pour sa part.
L’instant fatal arrive ; on a sonné la charge ;
Les élephans de se mouvoir,
Et les traits mortels de pleuvoir.
Quelque tems on tient ferme ; et puis on prend le large.
Par tout devant les tours les escadrons plioient ;
La victoire déja de son aîle divine
Couvroit la troupe élephantine ;
Et les monstres vainqueurs jusqu’au ciel envoyoient
Mille cris dont au loin les échos s’effrayoient.
Par bonheur un essain de mouches
Eut pitié des vaincus, prit en aversion
Les élephans et leurs clameurs farouches.
Ça, punissons un peu cette ostentation,
Dirent-elles. Fondons sur ces superbes masses,
Et que l’on parle aussi de nous.
Ce ne fut pas vaines menaces ;
Et sur les élephans les picqueurs fondent tous.
Il n’est peau si dure qui tienne ;
Le fût-elle encor plus, messieurs, vous en aurez,
Bourdonnent-ils ; vous apprendrez
À qui le destin veut que la gloire appartienne.
Soudain de leurs traits acérés
Ils blessent coup sur coup les yeux de nos colosses ;
Dans l’une ou l’autre oreille, ou dans la trompe entrés,
Ils les harcellent tant, que devenus féroces,
Les élephans désespérés
Retournent en arriere, en foule se renversent
Sur le parti qu’ils troublent, qu’ils dispersent.
Par l’effroi des vainqueurs les vaincus rassurés
Reviennent au combat ; la valeur tourne en rage ;
Ils frappent, percent tout, ce n’est plus qu’un carnage ;
Ils font litiere enfin d’ennemis massacrés.
Un florissant empire ainsi changea de face ;
Le roi fut dépouillé ; l’étranger eut sa place.
Sur cette révolution
L’histoire a debité maintes raisons subtiles.
Les vaincus étoient malhabiles ;
Ils ne firent pas bien leur disposition :
Le vainqueur prudent comme Ulisse
Dans l’armée ennemie avoit des gens à soi ;
C’est de ces gens que vint le désordre et l’effroi ;
Et cent contes pareils que dame histoire glisse,
Et qu’on croit cependant comme article de foi.
Des mouches, pas un mot. Pourquoi ?
Aux grands événemens il faut de grandes causes ;
Voilà son systême, fort bien :
Mais qui sçauroit au vrai les choses,
Verroit souvent que ce n’est rien.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Les Mouches et les Eléphants.