Une ourse avait mis bas ; ourses du voisinage
D’accourir pour voir le poupon.
« Est-ce une fille ? Est-ce un garçon ?
Est-il bien gros ? Est-il bien sage ?
Sans que ce soit un damoiseau,
Puisqu’il est le fils de son père,
Comme un ange il doit être beau
Pour peu qu’il ressemble à sa mère. »
Comme un diable il est laid, commère.
Devait répondre la maman,
Si sur ce point, une fois l’an,
Maman pouvait être sincère.
La nôtre, à tous les yeux cachait son nourrisson ;
Masse informe, ébauche grossière ;
Ours, qui d’ours n’avait que le nom ;
D’un ours c’était bien la matière,
Mais il y manquait la façon.
C’est à la lui donner que la dame s’applique.
Au fond d’un antre obscur, loin du monde et du bruit,
C’est à lécher sans cesse et relécher son fruit
Qu’elle met son étude unique.
Ses efforts n’ont pas été vains.
Ainsi qu’on voit la molle argile
Sous les doigts d’un artiste habile,
Prendre un buste, un visage, et des pieds et des mains,
Grâce aux soins qui le débarbouillent,
Du petit monstre, en peu de jours,
Les traits tour-à-tour se débrouillent,
Et c’est, s’il n’a changé, le plus joli des ours.
Sa mère, je le crois, ne lisait point Horace ;
Mais nous qui le lisons, nous autres beaux-esprits,
Pourquoi, moins qu’elle, user de ses sages avis ?
Cent fois sur le métier remettez vos écrits,
A dit le maître du Parnasse.
Vains préceptes ! nos vers sont à-peine ébauchés,
Que de les mettre au jour rien ne peut nous distraire ;
Aussi sur le théâtre, aussi chez le libraire,
Mes amis, que d’ours mal léchés !
“Les Ours mal léchés”