Antoine-Pierre-Augustin de Piis
Il n’est rien tel que d’approfondir tout,
Comme Empédocle, homme de goût
Qui doutait que Vulcain logeât sous la Sicile.
Un jour ce savant imbécile
Entendant dans l’Etna retentir les marteaux
Dont il tente en trois tems de dompter les métaux,
Marcha vers le volcan d’un pas ferme et tranquille,
Quitta de grand sang-froid sa chaussure inutile,
Et se jeta pieds -nus , et la tête en avant,
Dans un gouffre de flamme entr’ouvert par le vent.
Que ne peut pas sur nous le désir de s’instruire?
Plusieurs passants qui l’avaient observé ,
Battaient des mains en éclatant de rire ;
Mais certain freluquet, par Vénus énervé,
Prenant les pantoufles du sire,
Leur dit: — Messieurs, qu’est-ce qu’une action
Si belle qu’elle soit, quand l’orgueil l’accompagne ?
Voici ce que je trouve au bas de la montagne,
Sifflons tous sans compassion.
— « Palsambleu, monsieur le maroufle,
» Lui repartit une pantoufle,
« Feu mon maître par vous gratis est insulté.
» Qui ne cède à la vanité?
» L’ombre du laboureur voltige autour de l’arbre
» Qu’étant jeune il avait planté ;
» Le riche, qui n’est plus, sous sa tombe de marbre
» S’enorgueillit d’avoir été ;
» L’auteur le moins connu, jaloux de se survivre,
» De sa cendre de nain croit renaître géant,
» Baise avant d’expirer les feuillets de son livre,
» Et s’endort sans regrets dans la nuit du néant ;
» Sous la faux delà mort on voit encor la belle
» Sourire à son portrait qui durera plus qu’elle,
» Et qui transmettra sa beauté :
» Bref, il n’est pas jusques au sage
» Qui, traîné malgré lui vers l’horrible Lethé,
» Ne trace avec le doigt son nom sur le rivage,
» Dans l’espoir de l’apprendre à la postérité. »
— Ta remontrance m’est égale,
Reprit le petit-maître à grand tort furieux ;
Tu raisonnes pantoufle, et malgré ta morale
On ne verra jamais les miennes dans ces lieux:
Au pied du lit d’Elmire elles sont beaucoup mieux.
“Les Pantoufles d’Empédocle”