Tircis, qui pour la seule Annette
Faisait résonner les accords
D’une voix et d’une musette
Capables de toucher les morts,
Chantait un jour le long des bords
D’une onde arrosant des prairies,
Dont Zéphire habitait les campagnes fleuries.
Annette cependant à la ligne pêchait ;
Mais nul poisson ne s’approchait.
La Bergère perdait ses peines.
Le Berger qui par ses chansons,
Eût attiré des inhumaines,
Crut, et crut mal, attirer des poissons.
Il leur chanta ceci : Citoyens de cette onde,
Laissez votre Naïade en sa grotte profonde.
Venez voir un objet mille fois plus charmant.
Ne craignez point d’entrer aux prisons de la Belle :
Ce n’est qu’à nous qu’elle est cruelle :
Vous serez traités doucement,
On n’en veut point à votre vie :
Un vivier vous attend, plus clair que fin cristal.
Et, quand à quelques-uns l’appât serait fatal,
Mourir des mains d’Annette est un sort que j’envie.
Ce discours éloquent ne fit pas grand effet :
L’auditoire était sourd aussi bien que muet.
Tircis eut beau prêcher : ses paroles miellées
S’en étant aux vents1 envolées,
Il tendit un long rets. Voilà les poissons pris,
Voilà les poissons mis aux pieds de la Bergère.
O vous Pasteurs d’humains et non pas de brebis,
Rois, qui croyez gagner par raisons2 les esprits
D’une multitude étrangère,
Ce n’est jamais par là que l’on en vient à bout ;
Il y faut une autre manière :
Servez-vous de vos rets, la puissance fait tout.
Analyse littéraire des fables de La Fontaine, Louis Moland, 1872.
1. Ailleurs, et dans une épître à la duchesse de Bouillon, La Fontaine a , en imitant Horace :
Vous envoyez aux vents ce fâcheux souvenir.
2.Ce mot est au pluriel dans les éditions originales.
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
XI. Les Poissons et le Berger qui joue de la flûte.
Esope , F. 13o.
V. 25. L’auditoire etoit sourd aussi bien que muet.
La troupe est sourde aussi bien que muette.
( Même Fable , par le chevalier de Si.-Gilles .
La chanson du berger est fort jolie ; maïs on est un peu scandalisé de la morale dé la pitee et du conseil que Fauteur donne aux rois. La Fontaine apôtre du despotisme ! La Fontaine blâmer les voies de la douceur et de la persuasion ! cela paroit plus extraordinaire et plus contre la mature que le loup rempli d’humanité dont il nous a parlé quatre ou cinq Fables plus haut . (Ch.)
Lemonnier renchérit encore, avec une indécente amertume, sur cette inculpation, dans le discours préliminaire de son recueil de Fables. Le Noble, venant à reproduire, quelques années après La Fontaine, ce même apologue dans ses Fables politiques, en fait l’application aux événements qui se sont passés en Europe lorsque celui qu’il appelle le Grand Pêcheur, n’ayant pu réussir à Ja pacifier, se vit réduit à jeter ses filets y et les a retirés chargés de nouvelles conquêtes. Il y a lieu de regretter, en lisant les reproches que Chamfort et Lemonnier adressent à La Fontaine, que pour y trouver une apparence d’excuse, une différence de pou d’années dans les époques empêche qu’on puisse supposer ici la même intention à notre fabuliste. “Les Poissons et le Berger qui joue de la flûte”