Chez des souris, peuple rongeur,
Un jour certain rat voyageur
Arriva le sac sur l’épaule ;
Comme il n’avait pas une obole,
Il apprêtait déjà son petit compliment
Pour aborder son monde poliment ;
Lorsque nos dames ronge-maille,
Qui jamais n’avaient vu de souris de sa taille,
Croyant avoir affaire à quelque grand seigneur,
Lui firent aussitôt l’accueil le plus flatteur.
Le rat prenant goût à la fête,
Se garda bien de les désabuser ;
Plus l’encens lui donnait, au contraire, à la tête,
Plus il voulut qu’on le vînt courtiser.
On l’avait cru grand seigneur sur sa mine ;
Il se dit prince, on en crut son aveu.
Ensuite il se fit roi d’autorité divine ;
Puis empereur ; puis enfin demi-dieu.
Et cependant sa fortune et sa panse
S’arrondissaient aux dépens des souris ;
Tant et si bien, que parmi cette engeance
Contre le rat enfin on poussa de hauts cris.
Un hibou, personnage austère,
Et qui près de nos gens logeait en ce temps-là,
Les pria d’abord de se taire ;
Mais échouant à mettre le holà :
« De quoi vous plaignez-vous, dit-il, sotte vermine ?
N’êtes-vous pas auteurs de tous vos embarras ?
Nuls grands ne se croiraient de nature divine
Si les petits ne les adoraient pas. »
“Les Souris, le rat et le Hibou”