Charles-Guillaume Sourdille de la Valette
Écrivain, poète et fabuliste XVIIIº – Les taupes
D’Éole bravant les assauts.
Un chêne jeune encor, plein de force et de vie.
Seul offrait, au milieu d’une vaste prairie,
L’utile abri de ses rameaux.
Les troupeaux, les bergers, le peuple au doux ramage.
Sous son feuillage respecté
Rendaient grâce à la main du sage
Qui dans ces lieux l’avait planté.
Assis un jour au pied de l’arbre tutélaire.
Tout à mes méditations,
Je calculais combien de générations
Sous son ombrage séculaire
Pourraient venir se reposer.
Tout à coup près de moi, sous terre.
A voix basse j’entends causer :
« Chêne maudit ! sans lui nous serions fières
« De voir, comme au bon temps, nos seules taupinières
«Dominer tout le plat pays :
« Qui l’a planté ? nos ennemis.
« Il périra ! N’est-ce pas votre avis ?
«Allons, faisons jouer la mine.
« Ma commère, cette racine
« Est votre affaire, attaquez-la. »
« — De cette autre, que je sens là.
« Vous vous chargez donc, ma voisine ?
« Bientôt nous en aurons raison .
« Foi de Taupe ! ou j’y perds mon nom. »
Vite on agit de la dent, de la patte ;
On ronge, on bêche, on mord, on gratte,
En aveugles, sans sans savoir où.
Et cependant nos mineuses velues
Se gardaient bien, de peur d’être aperçues.
De mettre le nez hors du trou.
Une autre Taupe, à barbe grise,
Leur dit alors ces mots, que j’entendis fort bien :
« Vous travaillez beaucoup et vous ne faites rien.
« Mes sœurs, abandonnez une folle entreprise.
« Quand cet arbre grandit pour le bonheur commun.
« Seules n’y verrons-nous que périls et dommage ?
« lui fraîcheur de ce sol est due à son ombrage ;
« Profitons-en comme chacun.»
À vous aussi cette leçon s’adresse,
Ennemis de nos droits,
Taupes d’une autre espèce :
Vous vous fatiguerez peut-être avec le temps
D’user contre le roc vos ongles et vos dents.
Charles-Guillaume Sourdille de Lavalette