Souple et blanche comme l’hermine,
Une pâquerette jadis
Fleurissait au soleil dans un vase de Chine
Orné d’oiseaux de paradis
Et de mandarins d’or au visage d’opale.
Humant la brise matinale,
Ainsi qu’une Espagnole à son balcon doré,
La fleurette livrait sa tête parfumée
Aux splendeurs du ciel azuré,
Quand, joyeux et l’aile embaumée
De l’enivrante odeur des roses du jardin,
Le corps humide de rosée,
Un papillon près d’elle entra par la croisée.
C’était l’amant léger de la fleur ; et soudain,
Au doux bruissement de son aile
Scintillant dans l’air et traçant
Un cercle de rubis et d’azur autour d’elle,
Elle s’ouvrit en frémissant ;
Puis elle lui dit : Viens ! c’est l’heure fortunée
Où l’Amour de ses fleurs couronne l’Hyménée.
L’homme, les arbres, les oiseaux,
Tout ce qui vit dans l’air et nage dans les eaux
Aime et palpite d’allégresse !
Au penchant du vallon ombreux,
Le laboureur s’éveille auprès de sa maîtresse,
Et de son doigt nerveux caresse
Les boucles de ses noirs cheveux.
Dans l’air passent les hirondelles,
La volupté suspend leurs ailes :
Imitons-les ; viens ! j’ai pour toi
Cent fois plus de baisers qu’un roi
N’a de lys à son diadème !
Ah ! permets à mon cœur qui t’aime
De boire au calice enchanté
Qui verse amour et volupté,
Jusqu’aux derniers instants de ma vie éphémère !
Suspendant sa course légère,
Le petit roi des airs vint alors se poser
Sur la corolle d’or de la fleur entrouverte,
Qui, droite sur sa tige verte,
Tressaillit sous un doux baiser.
Puis, l’aile agile et l’âme heureuse,
Il regagna les champs de la vallée ombreuse
Par le chemin qu’il avait pris.
Objet d’horreur et de mépris,
Plus laid qu’aucune créature,
Tel qu’un baudet hideux qui traîne une voiture,
Certain colimaçon, emportant sur son dos
Sa maison d’écaille massive,
Se traîna vers la fleur en lui disant ces mots :
Merveille des cieux ! Flamme vive !
Objet divin créé pour séduire et charmer !
Heureux celui qui peut un seul instant t’aimer !
Permets, pendant que dans la plaine
Voltige ton amant ailé ;
Permets, belle fleur, que je prenne
Un rapide baiser sur ton front étoilé.
Mais, la pâquerette fidèle
Étant sourde, il ose enlacer
Les contours de sa tige frêle,
Et redouble d’efforts afin de se glisser
Jusqu’à sa cime parfumée.
Mais de la fleur subitement,
Au contact odieux de ce hideux amant,
La corolle s’était fermée.
Jurant alors de se venger,
Voilà que du fond de sa bouche
Il tire un venin dont il touche
Ses pétales plus blancs qu’une fleur d’oranger,
Quand le soleil de mai fend son bouton d’ivoire.
La couvrant d’une bave noire,
L’infâme va souillant et rongeant son front pur ;
Puis, sous un vieux lambris cherchant un abri sur,
En sa demeure il se replie.
Hélas ! on vit mourir la fleurette jolie
Au contact du poison subtil :
En la voyant ainsi flétrie et mutilée,
La Parque de ses jours avait rompu le fil.
Son amant, l’âme désolée
Succomba de douleur ; et ce reste adoré.
Sans parfum et sans étamine,
Retomba, fleur hier, cendre d’or à présent,
Sur les bords du vase de Chine.
Un mois après, en arrosant
Les sœurs de la fleur regrettée,
Certain valet trouva sur les meubles tracé,
Ainsi qu’une ligne argentée,
L’étroit chemin par où l’infâme était passé ;
Puis, le suivant de la table
Jusque vers le lambris, ce serviteur, dit-on,
Découvrant la bête coupable,
L’envoya souper chez Pluton.
Tremblez, méchants ! le Temps, de son aile rapide,
Efface rarement la trace d’un perfide.
“Les traces d’un perfide”