Mars autrefois mit tout l’air en émûte.
Certain sujet fit naître la dispute
Chez les oiseaux ; non ceux que le Printemps
Mène à sa Cour, et qui, sous la feuillée,
Par leur exemple et leurs sons éclatants
Font que Vénus est en nous réveillée ;
Ni ceux encor que la Mère d’Amour
Met à son char : mais le peuple Vautour,
Au bec retors, à la tranchante serre,
Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre.
Il plut du sang ; je n’exagère point.
Si je voulais conter de point en point
Tout le détail, je manquerais d’haleine.
Maint chef périt, maint héros expira ;
Et sur son roc Prométhée espéra
De voir bientôt une fin à sa peine.
C’était plaisir d’observer leurs efforts ;
C’était pitié de voir tomber les morts.
Valeur, adresse, et ruses, et surprises,
Tout s’employa. Les deux troupes éprises
D’ardent courroux n’épargnaient nuls moyens
De peupler l’air que respirent les ombres :
Tout élément remplit de citoyens
Le vaste enclos qu’ont les royaumes sombres.
Cette fureur mit la compassion
Dans les esprits d’une autre nation
Au col changeant, au cœur tendre et fidèle.
Elle employa sa médiation
Pour accorder une telle querelle ;
Ambassadeurs par le peuple pigeon
Furent choisis, et si bien travaillèrent,
Que les Vautours plus ne se chamaillèrent.
Ils firent trêve, et la paix s’ensuivit :
Hélas ! ce fut aux dépens de la race
A qui la leur aurait dû rendre grâce.
La gent maudite aussitôt poursuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage,
En dépeupla les bourgades, les champs.
Peu de prudence eurent les pauvres gens,
D’accommoder un peuple si sauvage.
Tenez toujours divisés les méchants ;
La sûreté du reste de la terre
Dépend de là : Semez entre eux la guerre,
Ou vous n’aurez avec eux nulle paix.
Ceci soit dit en passant ; je me tais.
- chamaillèrent – Ce mot parait bien faible après la peinture de la guerre des vautours; c’est qu’il a changé de signification. Aujourd’hui chamailler se dit d’une dispute bruyante; il est familier. Mais autrefois il était noble; il se disait du combat des chevaliers. (A. M.)
C’est ainsi que nous voyons dans Montaigne : « Bétis, seul, abandonné des siens, ses armes dépecées, tout couvert de sang et de plaies, combattent encore au milieu de plusieurs Macédoniens qui le chamaillaient de toutes parts. » (Louis Moland)
Autres analyses:
- Analyses : Les Vautours et les Pigeons, MNS Guillon
- Analyse: Les Vautours et les Pigeons, P. Louis Solvet
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 3..…Non ceux que le printemps
Mène à sa cour…..
Tournure poétique qui a l’avantage de mettre en contraste , dans l’espace de dix vers , les idées charmantes qui réveillent le printemps , les oiseaux de Vénus, etc.. et les couleurs opposées dans la. description du peuple vautour.
V. 27. Au col changeant…..
Description charmante , qui a aussi l’avantage de contraster avec le ton grave que La Fontaine a pris dans les douze ou quinze ver» précédents.
V. 41. Tenez toujours divisés les médians.
Ceci n’est pas à la vérité une règle de morale : ce n’est qu’un conseil de prudence ; mais il ne répugne pas à la morale.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.

(1) Mars autrefois. Mars, fils de Jupiter et de Junon, est le Dieu des combats. Il est reconnaissable à son attitude guerrière, à la fureur qui étincelle dans ses yeux, au casque dont sa tête est toujours chargée, à la cotte d’armes qui couvre sa poitrine, an long javelot avec lequel sa main s’apprête à frapper son ennemi. Mars ou la guerre sont mots synonymes.
(2) Mit tout l’air en émûte. Emoy, esmay, esmayance, emute, tous vieux mots remplaces aujourd’hui par celui d’émeute ( qui ne se dit encore que des mouvements populaires), pour signifier effroi, tristesse , appréhension. ( Voyez le Glossaire à la suite des Poésies de Thibault, comte de Champagne, T. II. p.230)
(3) Non ceux que le printemps, etc. En général ces pacifiques oiseaux que les froids de l’hiver tenaient ensevelis dans la retraite et le silence, et que le printemps ramène pour embellir avec lui la nature, et rallumer les feux de l’Amour. Ni ceux encor que la mère d’Amour met à son char. Les colombes ou les moineaux que Vénus attelait à son char, parce que de tous les oiseaux, ils passent pour être les plus amoureux. On sent de quel attrait la suspension est pour la curiosité r et quel intérêt va résulter du contraste de ces premières images,si douces et si riantes, avec la description qui va suivre… Lire la suite
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
Les Vautours et les Pigeons. Phèdre, liv. I, F.3o.— Abstemius, F.96.
V. 3………Non ceux que le printemps
Mène à sa cour…..,,……
Tournure poétique qui a l’avantage de mettre en contraste, dans l’espace de dix vers, les idées charmantes qui réveillent le printemps, les oiseaux de Vénus , etc., et les couleurs opposées dans la description du peuple vautour. (Ch.)
V. 11. Il plut du sang……….
Voltaire a dit, dans sa traduction du fameux fragment poétique attribué à Cicéron, ut Jovis altisoni, etc. :
Le sang tombe des airs…………Lire la suite