Sur le revers d’une charmille
Un escargot se prélassant,
Immonde châtelain de sa frêle coquille, —
Contemplait d’un air suffisant
Des fourmis charriant un brin d’herbe et de paille,
— « Fi ! dit-il, fi ! de la canaille
« Qui pour se reposer, digérer et dormir,
« N’a pas, ainsi que moi, des dons de la nature
« Reçu la douce investiture,
« Bon domaine et moelleux loisir.
« Fi des petites gens qui travaillent pour vivre ! »
— Ô vous, qu’un vain orgueil jusqu’au délire enivre,
Écoutez bien ceci, reprit une fourmi :
Si l’on ne nous voit point avec une bicoque,
Comme vous avec votre coque,
Sans nul amour, sans nul ami,
Bavant l’écume et la sottise,
Ramper dans la fainéantise
Et nous gonfler de nullité ;
Nous avons, à défaut de ces lâches délices,
De fructueux plaisirs, d’attrayants exercices.
Aussi, par la fécondité
De nos laborieuses heures,
Nous savons nous créer d’agréables demeures
Et des entrepôts souterrains
Où le bonheur habite, où sont rangés nos grains.
Et, sous la loi communautaire,
Dans notre union salutaire
Sœurs par l’égalité,
De fleurs et de soleil jouissant tout l’été,
En hiver chaudement sous nos palais d’écorces,
Oh ! nous ferions envie à tout autre qu’à vous,
Ne demandant à chacune de nous
De travail que selon ses forces,
Et rendant en bien-être, en doux et tendres soins
A toutes selon ses besoins !…
“L’Escargot et la Fourmi”, Joseph Déjacque, 1821 – 1864