Une dévote humaine et délicate,
Dans la forme qui suit, dicta son testament :
« Je lègue à Dieu mon âme, et mes biens à ma chatte ,
« Pour en jouir de son vivant,
« Et les laisser à son heure dernière
« Aux nonnes du prochain couvent.
« Mais, afin que mon héritière
« Par aucun embarras n’achète son bonheur,
« Je veux que Lucrèce , nia sœur ,
« Des dits biens prenne la régie,
« Et sur leur produit soit nourrie,
« Tant que le ciel protecteur
« A ma Grisou prêtera vie. »
La dévote mourut après celte œuvre pie.
Son testament fit loi dans la maison.
Lucrèce , avide et ménagère ,
Dont l’aisance devra finir avec Grison ,
Néglige tout, beauté, médisance, oraison,
Pour mieux soigner une tète si chère.
Sensible amante! ingénieuse mère!
De l’intérêt venez prendre leçon.
Lucrèce a tout prévu pour l’adorable chatte,
Autour de la corniche a mis un garde-fou,
Une grille au foyer, au volet un verrou ;
Pour coucher l’héritière, enfle une molle ouate,
Lui pèse son manger, lui fait tiédir son eau ;
Avant de la servir goûte chaque morceau ;
De l’insecte sauteur délivre son hermine;
Puis de la chambre elles font chaque jour ,
Pour s’exercer ensemble, une ou deux fois le tour.
La duègne craint surtout l’amoureuse rapine.
Tels qu’on voit des Gascons, soupirant par métier,
Flairer de loin une riche héritière ,
Ainsi viennent en chœur les matous du quartier
Donner concert à notre prisonnière,
Non pas sous le balcon , mais dessus la gouttière.
Grison gémit. Hélas! cruelle par bonté,
Lucrèce croit qu’amour, hymen , maternité ,
Sont trois fléaux de la santé;
Ainsi jamais de jeux, et toujours du régime.
Pour l’homme et pour les chats quelle sotte maxime!
Dame Lucrèce , écoutez la raison.
La mollesse craintive est une maladie
Qui change les fleurs en poison ;
Trop de soin abrège la vie ,
Et la nature aime un peu d’abandon.
Sermons perdus : la dame persévère.
Qu’arriva-t-il? La stupide rentière
Vit passer en trois mois la chatte au monument.
Et l’héritage aux nonnes du couvent.
“L’Héritière”