Qui n’a pas observé que, chez les animaux,
Les goûts sont naturels, mais ne sont pas égaux ?
L’un veut vivre libre et sauvage,
L’autre chante dans l’esclavage ;
Le lièvre aime un gîte écarté,
Les souris la communauté.
Un jour, dans un clocher, nos coureuses d’églises
Bâtirent un palais qui servit de couvent :
Heureux ceux à qui Dieu donne un esprit fervent !
L’abondance bientôt logea chez les sœurs grises.
C’était à qui l’honneur d’être leur aumônier :
Ce dévot, il est vrai, n’était pas prisonnier ;
A bon droit décoré du titre de chanoine,
Ce très-illustre rat était gras comme un moine.
Environné de soins, accablé de douceurs,
Pouvait-il ne pas être indulgent pour ses sœurs ?
Aussi les laissait-il commenter l’Evangile,
Et parlait peu du jeûne aux jours de la vigile.
La joie et la douleur, la vie et le trépas,
Hélas ! assez souvent, se touchent ici-bas !
Près du couvent des sœurs vivait une hirondelle,
De son amour esclave : il était tout pour elle.
Elle en parlait au soir, l’apprenait au matin,
Et chantait chaque jour, dans son heureux destin,
Le Dieu dont les oiseaux reçoivent la pâture,
Dont la bonté s’étend sur toute la nature.
Mais la mort lui ravit son époux adoré.
Dès lors son triste cœur, par l’ennui dévoré,
Connut des noirs regrets les soupirs et les larmes,
Et bientôt la douleur anéantit ses charmes :
Plus d’amour ; c’est tout dire. Seule, hélas ! dans un nid
D’où l’espoir du bonheur est à jamais proscrit,
A peine répond-elle aux soins de sa voisine.
Le ciel a quelquefois un pauvre qu’il destine
A devenir l’appui
De plus pauvre que lui :
Le malheur, comme Oreste, a toujours son Pylade.
Les soins ne manquaient point à la pauvre malade ;
Mais tout le reste, hélas ! manquait assez souvent :
Et, pour elle, on faisait bien du bruit au couvent.
La voisine, cherchant un remède à ces maux,
Sacrifiant gaiment son temps et son repos,
S’en alla chez les sœurs. Parlant à la tourière* :
« Près de votre palais il est une chaumière,
» Ma sœur, où la souffrance accable un noble cœur ;
» Triste veuve, le bruit augmente sa douleur.
» Ne pouvez-vous prier quand le pauvre sommeille,
» Sans que, sous votre main, l’airain trouble la nuit ?
» Ah ! laissez-nous dormir ! le Dieu dont l’esprit veille
» Doit vous entendre mieux en faisant moins de bruit.
» — La maison a sa règle, et nous devons la suivre.
» — Ma malade bientôt aura cessé de vivre !
» Venez la voir, ma sœur : Dieu ne vous défend pas
» D’aimer et secourir ce qui souffre ici-bas !
» — Que pouvons-nous donner ? nous n’avons que misère.
» Je parlerai pourtant de vous à notre mère.
» Ici, ma chère enfant, les dehors sont trompeurs,
» Car la maison n’a pas de quoi nourrir nos sœurs.
» Ah ! que Dieu vous bénisse ! Allez, bonne hirondelle,
» Dites à votre sœur que nous prierons pour elle ! »
Et la solliciteuse, en quittant ce saint lieu,
Pour la première fois se surprit à médire :
« On a raison, dit-elle, on a raison de dire : »
Près de l’Eglise et loin de Dieu. »
*Soeur responsable des relations avec l’extérieur.
“L’Hirondelle et les Souris “